Première rencontre avec John Cassavetes, et je ne suis pas déçu du voyage ! Ce film ne ressemble à aucun autre. Au début, on se demande ce qu'on regarde, on comprend mal. Le cinéaste ne nous donne pas le confort de nous prendre par la main. Et puis... on se laisse entraîner et on comprend qu'il n'est pas besoin d'aller bien loin pour partir en voyage : ce film en est un, assurément, mais à l'intérieur de notre société. Réflexion sur la folie, il donne à voir avec une vitalité étonnante le fait que les règles, les conventions sociales, quand on s'en écarte pour le meilleur, c'est-à-dire pour rendre joyeux les autres, leur donner de l'amour, les faire vivre en somme, se retournent, mais violemment, contre celui, en l'occurrence, celle, qui les contourne, qui les escalade, qui les dépasse. Et la société nomme folle celle dont la personnalité s'est écartée de ses canons. Avec une grande subtilité, l'action se déroule au sein d'un couple dont l'homme, en harmonie parfaite avec ses semblables, a du mal à accorder sa vie sociale avec cette prétendue folie de sa femme, et pourtant l'aime tant et la comprend tellement bien - c'est la même chose. Désire tellement qu'elle reste cette "folle" et l'aime précisément pour cela, mais est tiraillé entre le conformisme nécessaire et cet amour merveilleux pour celle qu'on dit un peu "cinglée". On se veut d'en rester à ce niveau de généralité, et pourtant difficile de faire autrement : ce que donne à voir le film va souvent au-delà du dicible, précisément parce qu'il saisit souvent tout ce qui ne se dit pas. C'est probablement le rôle central du cinéma.