Le livre d'Edouard Louis est salutaire : il montre ce que peu de gens montrent en littérature, dans l'art, ou dans les médias, si ce n'est pour s'en moquer, ou pour les dédaigner : les classes populaires. Elles ont leurs croyances, leur façon d'être bien particulière, à certains égards critiquables - l'homosexualité est en particulier complètement rejetée, ce qui est insupportable à vivre pour le personnage principal - mais leurs égratignures incessantes aussi. La beauté du bouquin réside dans ceci : sa neutralité "axiologique". Le narrateur ne juge pas ce qu'il voit, il se contente de nous exprimer son ressenti en tant qu'individu, les conséquences de ce qui se produit dans son environnement. Il ne juge pas le racisme, dont on saisit qu'il est en grande partie formaté par l'avènement au coeur du débat public et médiatique de la problématique sécuritaire, ni l'homophobie - il se contente de montrer l'effet qu'a cette homophobie sur lui. Toujours essayer de retracer une logique de cause à effet.
L'intérêt du livre est ainsi qu'Edouard Louis ne se contente pas de raconter sa vie, mais qu'il est le sociologue de sa propre vie, tentant de décrire les logiques sociales sous-jacentes aux comportements qu'il observe. Cependant, on peut parfois regretter le caractère auto-centré du livre. Si l'on conçoit son intérêt cathartique (la souffrance morale et physique qu'a dû endurer Edouard Louis en raison de son homosexualité est difficilement imaginable pour un esprit actuel), on peut déplorer le fait qu'il nous impose parfois certains passages de sa propre vie dont le cas n'intéresse pas nécessairement tout l'univers. Il tombe aussi souvent dans un exhibitionnisme mal venu. La littérature est aussi un art de la suggestion : était-il besoin de décrire de façon aussi détaillée ses premières expériences sexuelles, par exemple ? Le réalisme est parfois utilisé avec raison par l'auteur, mais on aimerait plus de pudeur, parfois.
Au total, une lecture intéressante que je recommande !