Souvenez-vous : dans le monde d'avant, Une Fille Facile, c'était la chaleur dans le bas ventre, avec le même adjectif, du festival de Cannes en 2019. Parce qu'il y avait Zahia qui s'y dévoilait, dans un film qualifié d'auteur et, en plus, c'était réalisé par une Rebecca Zlotowski qui avait pour but de libérer le corps de la femme.


Soit l'étonnant mariage de la carpe et du lapin où, sous couvert d'intellectualisme et de progressisme, se cachait aussi une certaine volonté de se rincer l'oeil à peu de frais, en se frottant au soufre de l'aura d'une jeune femme, jusqu'ici plus connue entre les cuisses de certains footballeurs.


Et en plus, on convoquait le souvenir des premières apparitions de Brigitte Bardot au cinéma, histoire de faire monter encore un peu plus la température.


Eriger Zahia Dehar en nouvelle icône sur une telle comparaison totalement hors de propos apparaîtra en un sens rassurant : en effet, on peut ainsi continuer à faire des (pseudos) critiques ciné tout en ayant les yeux crevés et en souffrant de la maladie d'Alzheimer. Soit la preuve ultime que la science continue de faire de grands progrès.


Soyons sérieux quelques minutes : un tel parallèle ne fait finalement que souligner un gouffre propre aux travers de notre temps. Qui confond la sensualité incandescente et transgressive de naguère avec le fantasme bas de gamme d'une beauté artificielle tout droit issue d'un casting de téléréalité made in Les Marseillais.


Qui érige en starlette éphémère une des protagonistes d'une affaire de mœurs crapoteuse qui, en 2010, n'avait pas ému grand monde au rayon condition féminine ou exploitation sexuelle des mineures.


Mais ce n'est finalement pas la pauvre Zahia qui sera à blâmer ici. Elle ne fait aujourd'hui que jouer son propre personnage, avec tout ce que cela suppose comme limites d'une première expérience cinéma, qui plus est quand on lui demande de singer la diction et le fantasme ultime que représentait à l'époque Brigitte Bardot.


Non, ce sera plutôt cette exploitation hypocrite de l'objet du scandale dans le cadre d'une promotion ne rechignant jamais à mettre en avant le voyeurisme.


Car même si Une Fille Facile est réalisé par une femme, le film n'évite jamais de rabaisser sans cesse son héroïne au statut de simple morceau de viande érotisé exactement de la même manière que les phallocrates qui remplissent aujourd'hui encore l'industrie.


Le fait que cela fasse pleinement partie d'un « propos » de classes d'une platitude confondante ne change rien à l'affaire, Zlotowski cadrant systématiquement sa muse comme un ado en pleine poussée d'hormones, que ce soit à la plage, en soirée, où Zahia chante très mal, ou encore en plein ébat, poussant le curseur de la vulgarité dérisoire et gratuite assez loin.


Le ridicule n'est jamais très loin non plus, quand il s'agit de songes humides de naïade avec des oursins dans les mains, image ô combien involontairement comique, ou encore de dissertations Durassiennes.


Ainsi, Rebecca Zlotowski ne filme pas Bardot, mais une poule d'eau qui fait trempette, image dérisoire de la féminité d'aujourd'hui que l'on qualifie de libre, dans un été évanescent en forme de conte qui voudrait s'approcher de Rohmer, mais qui leste son récit d'aphorismes lourdingues et de dialogues parfois consternants, donnant l'impression que l'oeuvre évolue en pleine brasse coulée.


C'est d'autant plus dommage que le personnage alter ego de l'inconséquente sensuelle, ou encore celui défendu par un Benoît Magimel désarmant, nourrissent quelques jolies scènes parfois touchantes.


Mais Une Fille Facile se montre tellement superficiel, bouffi de prétention et opportuniste que la séduction mise en image ne pourra être que qualifiée de cheap, à l'image du tatouage carpe diem que son icône arbore au bas des reins. Le vide, le malaise, ou encore la mélancolie de son héroïne méritaient, à l'évidence, beaucoup plus de sincérité et de délicatesse dans leur traitement.


Behind_the_Mask, qui n'a pas des oursins que dans les poches.

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le 15 sept. 2022

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