J'ai eu énormément de mal avec les précédents films de David Lynch que j'ai vu. Cet auteur a vraiment un style hors du commun, ses projets sont esthétiques à souhait et la dimension onirique de ses métrages est terriblement hypnotique bien que j'y sois assez hermétique (mes assonances te mettent la nique). J'ai du mal avec les films qui nous offre peu de choses concrètes auxquelles se raccrocher, ou quand il faut avoir des pré-requis dans certains domaines (comme l'histoire d'Hollywood dans Mulholland Drive) avant de les affronter. Le ressenti que ces expérimentations provoquent est vraiment atypique et unique, mais pour moi ça manque de... c'est dur à dire... de lien, de concret, de straight. Et ça tombe bien puisqu'ici, David Lynch tient à nous offrir une Straight Story.
Une histoire vraie emporte le spectateur dés l'annonce de son concept, qui tient sur un demi post-it, un vieux va parcourir 600 kilomètres en tondeuse à gazon pour rejoindre son frère malade. C'est tout, et pourtant c'est déjà tellement. Un film sur la vieillesse, un road-trip, un film terriblement touchant. On sait que Lynch a toujours réussi à proposer beaucoup avec peu, mais ici c'est plus que jamais le cas. Une histoire aussi "droite" et "directe" que son titre anglais, mais à la proposition de cinéma juste magnifique. La réalisation est impeccable, fourmille d'excellentes idées pour concrétiser cette idée succulente de voyage en tondeuse. Les plans sur la route digne de Jacky Tuning, alors qu'on zoome concrètement sur des pneus (usés) de tondeuse, les panoramiques magnifique et mélancoliques sur ces paysages naturels à perte de vue, la route qui défile à un rythme terriblement lent, et mon idée préférée : le plan sur la tondeuse qui monte vers le ciel, ellipse temporelle et on se rend compte qu'elle a avancé de même pas 5 mètres sur la route… Vraiment impressionnant. Il doit y avoir facilement 30/40 minutes sur la tondeuse qui roule et c'est juste magnifique à chaque fois.
La grosse réussite dans la proposition du film est son rythme : tellement posé et mélancolique. Alors oui, c'est lent. Mais ça fait deux choses : premièrement ça permet de transmettre une émotion plus subtilement qu'avec des dialogues, une musique ou que sais-je encore. C'est ça la force du cinéma, plutôt que d'avoir un vieux qui t'explique "oui la vieillesse ça me fait me sentir comme ça", Lynch te le fait ressentir avec une ambiance et un rythme filé à travers tout le film, et met au service acteurs, musique, montage et mise en scène pour te mettre dans un état d'esprit et te faire ressentir des choses bien particulières. Et deuxièmement, ça renforce l'impact des éléments intermédiaires et perturbateurs au (long) trajet. Car oui des événements il y en aura : on retrouve l'essence même du road trip finalement. Des phases de voyage, de route, entrecoupées par des rencontres, des péripéties, des moments de vie. Dans la plus grande tradition de Lynch d'ailleurs, il y aura une vraie variété dans les situations présentées, du burlesque, du drame, de la tension, du touchant. A chaque arrêt on ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus, et contrairement à ses autres métrages ou je ne rentrais pas dans tout de part la latitude des événements présentés, ici on reste sur un cœur d'histoire très cohérent (voyage dans les plaines et la campagne américaine) et ça concentre beaucoup l'immersion.
Le film excelle dans beaucoup d'autres points, tout d'abord une mention spéciale pour son design sonore qui transporte vraiment. Les musiques ne sont pas forcément nombreuses mais juste magnifiques et marquantes, certaines situations sont dotées de sonorités très particulières (je pense par exemple aux cyclistes) et le film contient de nombreux moments de silence total, vous savez ce silence dérangeant car pas naturel du tout de n'avoir aucun bruit (pas de vent, pas de nature rien), enfin il y a de quoi ravir les oreilles tout le long du film. Niveau esthétique c'est aussi un sans-faute avec des plans iconiques comme Lynch sait en imaginer, j'ai parlé des paysages tout à l'heure mais je tient à souligner la performance des acteurs qui est juste dingue. Tout le monde a une vraie gueule, comme d'habitude chez Lynch, mais ici on est dans un espèce de monde parallèle où tout le monde est vieux et tout le monde transpire un tel charisme… encore une fois hyper touchant à ce niveau-là, tous les personnages croisés sont saisissants (même les plus jeunes !)
Une histoire vraie c'est un pur moment de cinéma, qui installe directement une atmosphère délicieusement mélancolique grâce à une technique géniale sur tellement d'aspects. Une histoire vraie c'est un film qui transmet tellement avec si peu, vraiment tout ce que je voulais voir dans le style de Lynch. Une histoire vraie c'est un film qui peut vraiment parler à tous, je pense. Foncez voir ce film. A Straight Story, 600 km en tondeuse avec un papi, sérieusement, qu'est-ce que vous risquez ?