Avec Elephant Man en 1980, David Lynch adaptait à l'écran l'histoire de Joseph Merrick, surnommé l'Homme-Elephant à cause des terribles malformations dont il était victime, dans un biopic plutôt sobre lorsqu'on connaissait le premier film du réalisateur, Eraserhead, un long-métrage tortueux et mystique avec une grande dimension onirique. Ce fut un succès : au niveau public comme au niveau critique, Elephant Man permit à Lynch de se faire connaître dans le monde du cinéma.
Il remet ça en 1999 avec Une Histoire Vraie, qu'on nommera plutôt par son titre original bien plus riche de sens : The Straight Story. Lynch adapte de nouveau une histoire vraie, autour d'un vieil homme de 73 ans, Alvin Straight, qui décide de rendre visite à son frère Lyle qui vient d'avoir une attaque, habitant à plus de 500 kilomètres, dans un autre État... et ce, en tondeuse à gazon. N'ayant plus les capacités requises pour un permis de conduire et n'aimant pas se faire conduire, c'est le moyen de transport que choisit Alvin Straight pour voyager, et c'est sûrement cette particularité qui donna à Lynch l'envie d'adapter à l'écran cette histoire.
Car disons-le, hormis cette particularité, le synopsis de The Straight Story ne propose rien de follement intéressant. Un vieil homme, perdu entre l'Iowa et le Wisconsin sur une vieille tondeuse à gazon équipée d'une remorque, dont on doutera longtemps de la lucidité alors qu'il entreprend un périple dangereux pour lui-même. Des personnages âgés, arriérés – parfois jusqu'à la caricature - et bégayant, qui ont pour la plupart comme plus grande péripétie quotidienne d'éviter de se brûler avec le thé. L'annonce de la réalisation de pareil film par David Lynch, qui plus est, avait à l'époque de quoi faire fuir les cinéphiles les plus aguerris. David Lynch, le réalisateur de Lost Highway, le créateur de Twin Peaks, s'atteler – dans une réalisation sobre – à pareil projet ? Autant dire que The Straight Story était mal embarqué.
Et pourtant. Si le récit de cette odyssée d'un nouveau genre prend quelques temps à se lancer, il enchaîne ensuite diverses péripéties qui, si elles s'avèrent dans un premier temps ennuyeuses et sans intérêt, prennent progressivement un sens et une valeur, notamment sentimentaux. The Straight Story suit les codes du road-movie sans les rendre éculés ni prévisibles, mettant en scène l'acheminement de l'attachant Alvin Straight jusqu'à un objectif qu'il n'abandonnera jamais –
et qui en vaut la peine, si l'on en juge le regard humide et reconnaissant au-delà des mots de son frère Lyle alors qu'il s'apercevra que son frère est venu en tondeuse à gazon.
Cependant, on peut dénoter une certaine nuance dans l'affirmation que ce film n'a rien de lynchien. On l'avait vu avec Twin Peaks notamment, ou même légèrement avec Blue Velvet : David Lynch a une attirance toute particulière pour les atmosphères mielleuses voire puritaines ; en un mot, innocentes. Cela transparaît encore plus ici alors que le réalisateur entreprend de raconter l'histoire de deux frères qui regrette de ne plus se parler. Qui regrettent de ne plus vieillir ensemble, de peur d'apercevoir sa propre jeunesse dans les yeux de l'autre.
Et dans ce rôle, Richard Farnsworth excelle. Tantôt arborant une mine presque sénile aux yeux pétillants d'obstination, tantôt le regard rivé vers le sol, marmonnant seul à propos de quelque nostalgie qui l'a soudain emporté.
Le pire dans la vieillesse, c'est de se rappeler quand on était jeune.
A travers ces personnages finalement tous touchants et hauts en couleur – mention spéciale à Sissy Spacek dans le rôle de Rose, la fille de Richard – The Straight Story apparaît non pas comme une anomalie dans la filmographie de Lynch mais comme une pause rafraîchissante, une fenêtre parmi les ténèbres, un peu à la manière d'Une Grande Année pour la carrière de Ridley Scott : des films plus légers que ce à quoi le réalisateur nous avait habitués, mais d'autant plus bienvenus.