"La défense tient à apporter des pièces au dossier. Eu égard aux accusations portées contre mon client, accusations éhontées et, faut-il le rappeler, sur la bases de seules rumeurs colporter pas l'opinion publique? On reproche à mon client de n'être nourri par aucune ambition artistique, de n'être motivé par la seule rentabilité, d'être un produit calibré, lisse, aux qualités interchangeables avec n'importe lequel des autres accusés du cinéma français. Je vous le dis en ces lieux marqués par le sceau de la Justice : ces chefs d'accusations sont infondés et tiennent plus de la calomnie que d'un véritable travail de sens critique de la part des policiers de la morale et du bon goût. Quelles preuves avez vous ? Je vous le dis, aucune. De fait, mon client se demande ce qu'il peut bien avoir à faire sur le banc des accusés. Faut-il rappeler à la Cour avec quel brio il met en scène un procès tel que celui qui nous anime aujourd'hui ? Faut-il rappeler que, à l'instar de certaines des plus célèbres affaires judiciaires, celle qui nous concerne n'est motivé que par l'incompréhension et le rejet primaire ? J'ai cette impression, monsieur le président, que l'opinion publique a déjà rendue son verdict. Que, allant de paire avec les médias, le peuple a déjà condamné mon client à rejoindre les rangs de la paresse intellectuelle et du formatage artistique. Quelle prouesse, permettez-moi, mesdames et messieurs, de vous le dire, quelle prouesse ! Parvenir, d'un tel tissu de mensonges, à forger l'idée que le cinéma français est mort ! Je ne peux vous laisser descendre ne serait-ce qu'une minute de plus, mon client. Lui qui rend captivant une intrigue qui pourtant, relève d'un procès inspiré de faits divers. Lui qui fait la part belle aux effets de montage pertinent et exploite le potentiel de ses acteurs. Lui qui laisse planer un doute constant concernant la culpabilité ou non de l'accusé. Vous voulez que vos enfants vivent dans un monde ou la justice condamne de telles intentions ? Vous accusez mon client de créer un personnage de toute pièce sans prendre en compte l'intelligence du traitement et la pertinence dudit personnage au sein d'une fiction. Enfin, mesdames et messieurs, où sommes nous ? En réalité, je vous le dis, ce personnage est bien écrit et participe à l'identification du spectateur qui cherchera à rejoindre le point de vue et les convictions, même les plus déraisonné, de cette femme, atteinte du syndrome "je me met tellement à fond dans ce que je fais que j'en oublie même d'aller chercher mon fils à l'école" très courant chez les personnages de film et ici justifié par l'urgence du procès. Et si, mesdames et messieurs les jurés, monsieur le juge et tous les membres de la Cour ici présents, vous trouvez ma plaidoirie ridicule, dîtes vous bien qu'à l'image de mon client qui use avec intelligence de la présomption d'innocence, comme Monsieur Dupond Moretti qui en a fait un de ses chevaux de batailles, une de ses armes les plus précise, j'affirme, ce jour, que mon client a le droit à la présomption de culpabilité. Coupable, oui, coupable d'avoir voulu et d'avoir réussi à proposer un thriller efficace qui vient confirmer que les films de procès ont encore de beaux jours devant eux, dans ce "beau pays des droits de l'Homme". Si cette dernière provocation ne vous suffit pas, j'ajoute que mon client n'est coupable, aux yeux de la loi publique, d'exister dans un paysage cinématographique où les spectateurs peuvent le bouder pour se ruer vers la première diatribe comique d'un faiseur sans ambition. S'acharner sur mon client, lui reprocher ce qu'il n'a pu faire, d'être ce qu'il est, relève du jugement et non de votre devoir : celui de rendre la justice."
Procès kafkaïen/10