Un film comme à rebours de toute l’époque qu’il annonce. Pas tout à fait néo-réaliste, et pourtant pas entièrement Nouvelle Vague, Une jeune fille à la dérive surprend plus qu’il ne subjugue par son cadre rural atypique et les personnages perdus (mais jamais complètement foutus) qu’il met en avant.
On est au début des années 1960, la guerre est encore proche dans les souvenirs politiques (l’occupation américaine a traumatisé le jeune héros), et les modes occidentales envahissent l’archipel nippon : talons hauts, concours de beauté retransmis à la télévision, etc. Dans un petit village de pêcheurs, une jeune fille subit les coups de sang de son père alcoolique et s’efforce de résister à l’influence de sa tante, qui souhaite en faire une geisha. Un jeune homme de classe plutôt aisée vient quant à lui de perdre son emploi et tente de s’en sortir, tandis que son grand frère se lance localement en politique. Ces deux rebuts de la société se rencontrent sous influence viciée, s’amourachent l’un de l’autre et cherchent à concilier leur idylle naissante avec leurs difficultés familiales respectives.
C’est le point de départ de la sympathique histoire que narre le film de Kirio Urayama, sans fard, avec un œil résolument humaniste qui déjoue à peu près toutes les conventions du film de jeunes délinquants que l’on s’attendrait à voir pour cette époque. Ici la violence demeure « tolérable » et les abus physiques ne dépassent guère les claques et autres mains au derrière des jeunes filles, pratique apparemment fort répandue en ces temps-là. L’accent est mis avant toute chose sur la psychologie des personnages et leur volonté de s’en sortir malgré les maux qui les affligent successivement.
La réalisation est solide, et offre des moments de lyrisme tout à fait typique du néo-réalisme sans pour autant s’alourdir de son formalisme. On appréciera la grande modération dans la musique, ce qui rend la plupart des scènes tout à fait délectables puisqu’on est comme forcé de se concentrer sur ce qui importe : le visuel. Jamais transcendante, la photographie n’en reste pas moins agréable et quelques fois poétique.
On pourra regretter que le film ne se termine pas de manière un peu plus affirmée ; là on sent quand même que la prise de risque est minime : ça reste un film de studio. Mais elle signifie aussi que l’histoire n’a pas vocation à être idéalisée ; seulement à montrer un aboutissement fragile, possiblement temporaire mais concret, à une situation de départ perçue comme irrécupérable. Ce qui est déjà bien !