Même après la crise qui a secoué le cinéma de Hong Kong à la fin des années 90, les pratiques de l'industrie n'ont pas fondamentalement changé. Un succès au box office local amène nécessairement une flopée d'imitation dans son sillage. Seule la quantité a évolué à la baisse... La dernière grande réussite commerciale, ça a été la série des Infernal Affairs. Ce succès a remis au goût du jour le polar dans l'ex colonie Britannique et des Colour of the Truth et autres se sont mis à fleurir. Une Nuit à Mongkok est issue de cette lignée mais il ne s'agit pas d'un vulgaire produit d'exploitation. Son réalisateur, Derek Yee, a déjà prouvé son talent à maintes reprises et il signe ici une nouvelle œuvre de très grande qualité. Comme toujours chez lui, on assiste à un jeu d'équilibriste entre éléments commerciaux (il faut bien que le film se vende) et touches personnelles (Yee est un authentique auteur).
Le coté commercial est lié au genre abordé : Le polar avec ses codes bien (re)définis. La forme rappelle un peu Infernal Affairs par sa sophistication. Lumière travaillée, montage dynamique sont de rigueur, dans la mouvance des nouveaux standards imposés par les films d'Andrew Lau et Alan Mak. On ne s'en plaindra pas, le film ressort grandi de ce traitement. Yee se distingue cependant de la fameuse trilogie par une approche louchant davantage vers le documentaire. Les cadres tremblent, la caméra se laisse aller à des mouvements brusques... L'ensemble nous rapproche des personnages tout en conservant l'aspect cinématographique de l'oeuvre, un choix très révélateur du style de l'ancien acteur
Et évidemment, qui dit polar, dit scènes d'actions. Une Nuit à Mongkok semble vouloir plaire à tout le monde en la matière en proposant une large palette de styles. On a droit à des poursuites (motorisé et à pieds), des affrontements à mains nues et des fusillades soit stratégiques (à la Johnny To), soit violentes. Ce qui caractérise ces différentes scènes d'actions, c'est la qualité de la mise en scène. C'est particulièrement notable lors de l'intervention des policiers dans l'hôtel de passe où Yee crée avec talent une forte tension, cadrant au plus près de l'action, nous faisant sentir l'importance de chaque geste et à quel point la moindre erreur peut aboutir à une catastrophe. Autre séquence emblématique, la poursuite dans les rues de Mongkok. Beaucoup de grands polars se sont caractérisés par la manière dont ils utilisaient la ville, en faisant un véritable acteur du film plus qu'un simple arrière fond. Yee est de cette trempe là et il exploite à merveille les possibilités offertes par le foisonnant district Hong Kongais. Dans la poursuite, on retrouve tout ce qui fait Mongkok et surtout ce style de vie enlevé, basé sur la vitesse et une certaine agressivité à peine contenue.
Derek Yee a visiblement bien compris les codes du polar et les appliquent à la perfection. En cela, il se place dans la continuité de l'histoire cinématographique Hong Kongaise, sorte de prolongement du travail d'un Johnny Mak avec son Long Arm of the Law.
Mais ce qui fait définitivement la force de une Nuit à Mongkok, c'est son humanité, une constante de l'œuvre de Yee. S'appuyant sur un scénario soigné et une distribution talentueuse (de Daniel Wu à Alex Fong en passant par Cecilia Cheung, le casting se distingue par sa justesse), le réalisateur développe admirablement ses personnages. Tous ont leurs peurs, leurs espoirs... Tous sonnent juste. On est bien loin de caricatures peuplant le genre : Pas d'assassin invincible mais un jeune garçon perdu (physiquement et mentalement), pas de membre des triades glamour mais des brutes lâches, pas de supers flics à la Danny Lee mais des hommes faillibles confrontés à leurs démons (superbe plan final de la main tendue de Fong). Ces personnages réalistes et (pour la plupart) attachants font la grande force du film, même si Derek met un peu de temps, en début de métrage, à poser les bases nécessaires à leur développement. Léger impair au sein de ces réussites multiples qu'on oubliera rapidement au cours du récit.
Ce dernier comporte aussi de nombreuses petites réflexions sur la situation actuelle de Hong Kong, enrichissant encore davantage le film. Y sont soulignés les rapports toujours ambiguës entre les habitants de la Chine Continentale et ceux de la Zone Economique Spéciale, faits d'attraction et d'incompréhension (on pense à la conversation entre Daniel et sa grand-mère) ou l'intarissable soif d'argent de ses concitoyens, constante de HK, à la fois bénédiction et malédiction du petit territoire.
Polar humain et dramatique, intelligent et prenant, Une Nuit à Mongkok confirme le regain de vitalité de l'industrie cinématographie locale et l'importance de Derek Yee au sein de celle-ci.