Les liens sont très nombreux entre Une Passion et La Honte : Bergman n’en finit pas de ressasser les mêmes thèmes, dans une logique obsessionnelle qui contamine toute son équipe. Le couple et ses impasses, l’incommunicabilité des êtres, les traumas d’un passé et l’inertie du présent : l’être humain est englué dans son « cancer de l’âme » et vouloir le partager avec un partenaire ne peut qu’empirer la situation.
Ce charmant programme contient tout de même son lot de singularités. Une certaine modestie, pour commence, par rapport à l’opus précédent, puisque la guerre, reflet du chaos des individus, se trouve ici, en un sens, réduite à des enjeux plus intimistes. Sur l’île, un fou rode et massacre des animaux, l’occasion pour Bergman d’exploiter l’autre grande nouveauté (déjà expérimentée une seule fois par Bergman en 1964 avec Toutes ses femmes, mais qui se solde pour lui par un échec), le passage à la couleur : le sang sur la neige, les tableaux intérieurs à la lueur des flammes, des portraits qui mettent en valeur les yeux fantastiques de Liv UIllman… autant de saillies dans la noirceur.
Une passion est un film déroutant, quasi expérimental : Bergman laisse ses comédiens en roue libre, favorise l’improvisation, et joue de la transgression narrative en incluant, dans le récit lui-même, des fragments d’interviews des comédiens s’exprimant sur la psychologie du personnage qu’ils incarnent.
Les portraits-confessions cohabitent ainsi avec une toile grandeur nature, et une violence qui gicle sur la nature environnante. La question est toujours la même, explicitée par Bibi Anderson : « Quel est ce poison qui ronge le meilleur de nous-même et ne laisse que la carapace ? ». La vie elle-même, qui n’est « que pure formalité », semble asséner Bergman.
Au terme de ce trajet qui n’en est pas un, parce qu’il reste contraint dans les limites de cette île aliénante que ne parvient pas à quitter le réalisateur, le spectateur s’étrangle avec lui. Il est temps de passer à autre chose. Ce sera sans doute pire en terme de pessimisme, et le titre le confirme, mais sous le sceau d’un renouveau esthétique d’ampleur : Cris et chuchotements.
(6.5/10)