-Tiens, je te conseille une Seconde Mère, un film brésilien, pour l'instant un des meilleurs que j'ai vus cette année!
-Un film brésilien? Pfff, arrête un peu, c'est pour les bobos ça.
Il faudra qu'on m'explique pourquoi. Pourquoi quand ce n'est pas français ou américain, c'est bobo? Pourquoi quand ce n'est pas UGC et Gaumont c'est bobo? Pourquoi un tel film a-t-il reçu si peu de reconnaissance de la part du public français? Pourquoi le système marketing, normalement un minimum basé sur des critères de qualité objectifs, élude de telles pépites de cinéma. Pourquoi de formidables actrices comme Regina Case doivent-elles se contenter de telenovelas à la noix, alors qu'elles sont mille fois plus talentueuses que Jennifer Lawrence ou Megan Fox.
Oui car après mon coup de coeur pour Une Enfance Clandestine, le cinéma sud-américain m'a encore asséné un uppercut étoilé. C'est ici l'histoire de Val, cette femme de ménage brésilienne qui remplit à la fois les rôles de maman, confidente, et servante pour une famille de bourgeois Blancs de Sao Paulo. Elle est une seconde mère pour Fahbinho, le petit dernier de la famille, mais aussi pour sa propre fille, qu'elle n'a même pas pu voir grandir; retenue à Sao Paulo par le besoin de nourrir sa famille, mais aussi comme elle l'apprendra au cours du film, par une servitude sous-jacente, invisible pour elle mais insurmontable pour sa fille. Jessica viendra bouleverser la vie de ce petit ménage brésilien, elle qui représente la modernité, ce nouveau Brésil à peine sorti des langes de l'histoire sociale du pays, cet enfant du progrès qui devrait, selon l'auteure du film, faire évoluer la lutte des classes. C'est l'enjeu du film, clair et net.
La réalisatrice, Anna Muylaert, ancienne critique, en est à son quatrième long-métrage (le premier à être distribué dans nos salles). Elle choisit ici le registre de la comédie dramatique. La première heure est un exemple de maîtrise allié à de la sensibilité artistique. Le rythme est parfaitement contrôlé, l'intrigue captive, à la fois à travers l'humour et à travers les situations créées. Mais surtout, c'est la mise en scène qui fascine: les plans sont toujours lourds de sens (cette caméra qui n'entre jamais dans la chambre de Fabinho, semblant s'arrêter à ce couloir sombre, comme la limite que Val ne peut franchir dans son intimité avec l'enfant, captive de sa condition), certaines scènes sont tout simplement magnifiques tout en étant symboliques ( la scène de la piscine, quelle merveille). La première heure est parfaite, la deuxième l'est presque autant. Le seul petit bémol va à la conclusion, un poil trop convenue, à la sauce happy ending hollywoodien.
Ce film, c'est la lutte des classes adossée à la lutte des générations, le tout magnifiée par un casting et une direction d'acteurs d'enfer, une poésie de tous les instants, une sensibilité plus que prégnante. Des personnages un peu caricaturaux et une fin un poil conventionnelle n'entacheront pas, pour moi, cette toile de cinéma pure et sincère.
Et à nous rappeler que les cinémas du monde ont tout autant, sinon plus, de choses à apprendre aux mastodontes américains et français que l'inverse.