Une séparation. Le jugement impossible.
Tout commence par un audacieux plan-séquence en vue subjective.
Un couple nous fait face. Il veut divorcer. La femme et le mari exposent leurs griefs et les motifs de leur mésentente, de leur séparation à venir.
L'intrigue principale est ainsi habilement exposée ainsi que les enjeux de cette séparation: Rester vivre ici ou quitter L'Iran ? Où et comment éduquer leur fille de 11 ans ? Quel sort réserver au père du mari atteint d'Alzheimer ?
Nous, spectateurs, sommes exactement à la place du juge.
Le film nous invite donc à aiguiser l'impartialité de notre regard et à entendre avec compassion les raisons de chacun.
Il se trouve que le cinéma est exactement propice à ce type d'observation. Nul autre média, nulle autre forme d'Art ne permet aussi concrètement de voir le monde à travers les yeux d'un autre.
Asghar Farhadi entame là, à mon sens un très beau film de cinéma.
Et chaque personnage du film qui va suivre sera, lui aussi, sommé par la situation, tantôt de défendre âprement son point de vue ou quelquefois, dans un élan de compassion, d'épouser celui d'un autre.
La tragédie qui s'annonce prend ensuite une ampleur inattendue, car l'intrigue s'étoffe, nouée, imbriquée dans une problématique nouvelle, qui tient d'un véritable film policier et qui pose au spectateur nombres de questions morales, extrêmement difficiles, voire impossibles à trancher.
Le drame survient après la longue exposition de la situation du couple dont la femme quitte le foyer, de cette autre femme de maison qui vient travailler chez eux et s'occuper du père malade, des circonstances particulières qui l'obligent à quitter le domicile en enfermant son patient, de la dispute qui éclate au retour du mari et de son résultat tragique: la perte en fausse couche de l'enfant qu'elle attendait…
Le puzzle que décrit ce récit prend forme petit à petit et chaque pièce y a sa place. Car tous ces faits s'enchainent apparemment de façon inéluctable. A leur vision nous sommes comme écrasés par la fatalité, tant chaque personnage avait de bonnes raisons d'agir comme il l'a fait. Oh certes quelquefois fois avec excès ou mauvaise foi. Mais jamais il n'est possible de blâmer l'un ou l'autre tant chaque point de vue est honnêtement décrit et justifié.
Voici notre retour dans le bureau d'un juge…
Il ne s'agit plus pour nous de trancher entre deux époux fâchés, mais bien de comprendre qui a fait quoi et qui savait quoi ? Il s'agit de trouver la Vérité.
Et l'on se rappelle des non dits, des petit mensonges sans conséquences qui ont pris alors un poids si différent.
Le drame intimiste, déjà étoffé d'une intrigue policière, s'enrichit encore d'une peinture sociale dont le réalisme rappelle Balzac ou Flaubert. Car le couple qui divorce est aisé, habite un grand appartement en centre ville, la femme est professeur à l'université, le mari employé de banque. Alors que le couple qui s'oppose à eux devant le juge est pauvre. Lui est cordonnier au chômage, poursuivi par des créanciers. Elle, contrainte de travailler comme domestique. Le couple pauvre est aussi très croyant. L'interdit religieux, la foi profonde et le souci de l'honneur, le tiraillement enfin, que la crainte du pêcher mortel apporte… autant de raisons supérieures qui commandent aux personnages d'agir comme ils le font, à la manière des tragédies antiques.
Oui, dans ce film le décor est Iranien, mais tout le reste y est universel.
Qui ne se reconnaitra pas dans ces douleurs tues par la fierté ? Dans ces renoncements que l'orgueil étouffe ? Dans le désespoir des uns ou la colère des autres ?
Des mots injustes que se renvoient à la figure le couple qui se sépare, à leur fille impuissante qui les observe se déchirer.
De cette femme souffrante injustement accusée de vol au père confessant son mensonge à sa fille.
Des suppliques que le vieillard adresse à la femme qui s'en va aux coups que se donne à lui même le père en deuil et dont l'honneur est bafoué.
Tout des situations humaines tragiques qui nous sont racontées invite à la compassion. Mais aussi à cette interrogation: Ne sommes-nous pas aussi responsables des drames qui nous arrivent ? Sommes-nous à ce point menés par le destin ? ou ne sommes-nous pas après-tout les jouets de nos propres faiblesses ?
La dernière séquence du film, achève de prononcer le divorce. Nous sommes de retour dans le bureau d'un juge qui demande cette fois à la fille de 11 ans de décider avec lequel de ses parents elle souhaite vivre désormais. Mais la petite fille ne veut pas se prononcer, pas en leur présence. Car comble de l'ironie, c'est bien à elle de prononcer ainsi, finalement, la séparation. Les deux parents sortent dans le couloir. Mais le film ne nous dira jamais qui la petite fille a choisi, qui des deux avait les meilleures raisons, ni même évidement, si l'un d'eux avait raison…
Le film, après n'avoir cessé de nous mettre à la place du juge, nous invite donc finalement à suspendre notre jugement.
Voici, je crois, la marque commune des grandes oeuvres.