Jusqu'à ce que la vie nous sépare.
Pitch:
Lorsque sa femme le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s'occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l'accord de son mari, un homme psychologiquement instable...
5ème film de l'iranien Asghar Farhadi qui avait énormément fait parler de lui en 2011, Une Séparation est un de ces oeuvres qui tendent à prouvent s'il le fallait encore, que les réalisateurs iraniens malgré la répression du régime ont une voix à faire entendre.
Politique, humaniste et profondément sincère, Une séparation l'est. Des mots qui pourraient faire peur s'ils n'étaient ici tout à fait adéquats pour expliquer les évènements qui dépassent les personnages ici.
Lorsque la Simin (interprété par la sublime Leila Hatami) la femme de Nader (Peyman Moadi) le quitte car elle souhaite une meilleure vie pour sa fille, la vie de l'homme de famille bascule.
Incapable de gérer son père atteint d'alzheimer seul, Nader doit engager une personne pour s'occuper à temps partiel de celui-ci lorsqu'il travaille.
C'est ainsi qu'il va engager une femme Razieh (Sareh Bayat) qui enceinte va lui cache le fait que son mari ne l'autorise pas à travailler pour lui. Néanmoins sa situation économique précaire va la forcer à prendre en main la vie de cet homme atteint d'Alzeimer.
Les choses vont hélas tourner mal lorsqu'un jour elle abandonnera son lieu de travail et dont les conséquences seront la deuxième partie du film.
Une chose est formidable avec les films iraniens vus ces derniers temps au cinéma: ils nous rappellent à quel point le cinéma est un média formidable lorsque l'on souhaite transmettre un message et à quel point les moyens économiques (le film a coûté 800'000 $) ne sont finalement qu'un aspect somme toute secondaire.
Car face au jeu des acteurs incroyablement justes et vrai ici et face également à la mise en scène brillante, du film, c'est une histoire de familles boulversante et terriblement possible qui se déroule ici. Les thèmes abordés sont ainsi riches et variés:
- Que faire face à son père ayant alzheimer lorsque sa femme vous quitte et lorsque vous n'avez personne vraiment vers qui vous tourner?
- Quel est la place de la femme en Iran, et que peut-elle faire au niveau professionnel pour travailler? Face à l'autorité de l'homme et à ses règles liées par le Coran?
- Quelle place prend le divorce en Iran?
- Que peut faire une femme face à l'ancien Iran gouverné par les religieux tournés aux vieilles règles et l'envie de modernité qui est toujours là avec la révolution verte?
Car le titre une séparation est aussi plus vaste que le motif du début qui démontre ensuite d'autres formes de "séparations".
- Séparation entre la classe sociale aisé de la famille de Nader et celle de Razieh qui pour la première est proche de l'occident et la deuxième ancrée dans les fondements de l'islam.
- Séparation pour la jeune adolescente qui se voit attribuer le rôle de juge afin de sauver ou non son père en mentant.
- Séparation de Nader avec son père devenu totalement muet et dont il n'est plus qu'un pantin que l'on déplace ici et là.
- Séparation entre la nécessité d'agir lorsque l'aides soignante doit laver le père de Nader parce qu'il s'est oublié en se faisant ses besoins dessus et l'impossibilité de cette femme de le toucher car elle ne peut toucher un autre homme que son mari. La loi du Coran ou la nécessité humaine.
- Séparation finalement entre les hommes et les femmes qui agissent selon leurs convictions, leurs choix.
Autant de questions traitées de manière fine et non manichéenne, l'être humain ici est presque trop humain, avec ses qualités et ses défauts. La profondeur des personnages qu'a construit le réalisateur est d'ailleurs frappante tant rien ne sonne faux. Et c'est pourquoi ces destins croisés marquent les spectateurs qui verront le film.
Il n'y pas de bons ni de méchants dans le film, ce n'est ni plus ni moins que des hommes et des femmes tentant de prendre leur destin en main à travers les épreuves de la vie grâce à leurs convictions ou leurs intuitions.
Certains pourront trouver ces chroniques d'existence iraniennes glauques, sordides, et sans doute auront plaisir à voir du cinéma "qui divertit" plutôt qui montre ces moments difficiles parfois à vivre.
Mais il serait bien triste de bouder le film à cause du trop plein de "vrai" sous prétexte que ce n'est "pas très drôle".
D'un point de vue technique également, le film atteint une certaine forme de perfection dans sa forme. Autant tourné caméra au poing qu'en cadre large, il insiste parfois sur les visages des protagonistes en extirpant au mieux leurs émotions et leurs fêlures. Le plan séquence brutal du début d'ailleurs confirmera cette sensation poisseuse ou rien n'est tout à fait blanc ou noir...
De plus, aucune musique ne venant perturber la mise en scène, c'est grâce à la tonalité étonnament vivante de l'iranien que le spectateur aura le soin de sonder la justesse des propos. Un film bien entendu à ne voir qu'en version originale cela va s'en dire.
À la manière d'un juge, on tentera de prendre et c'est dans notre nature même que de faire cela, parti pour ce qui nous semble le plus juste et vrai. Mais force sera de constater que les gens qui s'agitent pour faire valoir leurs droits sont autant coupables que victimes dans un camp comme dans l'autre. Dès lors comment avoir un point de vue juste quand par peur ou fierté on préfère s'accrocher à son petit bout de fierté pour avoir la victoire au détriment de l'autre?
Ce n'est qu'une question d'expériences et de vécu qui sans doute sauront apporter la réponse et le positionnement que l'on peut avoir face à une telle oeuvre.
Un film boulversant, qui mérite qu'on en parle, encore et encore.
Humain, trop humain.
Note: 10/10
Trailer: http://youtu.be/alh2uwztQbE