In den Gängen joue avec la polysémie du terme allemand « Gang », renvoyant à la vitesse, à la commission – dans le sens des courses que l’on fait – et aux allées, toutes les trois présentes dans le long métrage : en effet, la rapidité est de mise, mesurée en temps de travail qui, lui-même, est calculé à partir du contrat et vérifié lors des pointages ; elle s’applique dans le cadre d’un supermarché où les clients viennent acheter divers articles organisés dans des rayons que composent et rempotent les employés chargés de la manutention. Ces définitions se confondent systématiquement au sein d’un scénario soucieux de nous immerger dans un microcosme peu investi par le cinéma : à la manière d’un documentaire, il suit le quotidien d’hommes et de femmes sinon invisibilisés qui font vivre une entreprise regardée comme une gigantesque usine broyant l’humain, ce qui n’est pas sans rappeler le roman Au Bonheur des dames (Émile Zola, 1883) ; pourtant, le choix de la fiction confère à l’ensemble une poésie inattendue qui conjure tout misérabilisme de propos.
L’image récurrente du monte-charge que peine à manœuvrer Christian métaphorise, de façon filée, sa non-appartenance au monde du magasin et l’aborde comme témoin détenteur d’un point de vue étranger ; elle renvoie aussi à son incapacité à s’épanouir dans un endroit segmenté par les fonctions et les hiérarchies, par les horaires ainsi que, spatialement, par les allées qui séparent les travailleurs. Il faut alors converser au travers des rayons, écarter les produits qui les encombrent et obstruent la vision, sans que ces rapports occasionnels ne débouchent pourtant sur une relation véritable. Le destin tragique de Bruno fait planer les spectres de la solitude et de la mort qui rattrapent les individus une fois rentrés chez eux, confrontés à la vanité de leur condition : la journée à remplir pour autrui un espace physique, la nuit à constater le vide de leur intériorité.
Dès lors, la fantaisie, qui émane de sursauts d’humanité et que revendique une mise en scène lumineuse mais pudique, redouble le réel, le colore et lui donne chair : « Wunder gibt es immer », dira le prochain long métrage du réalisation Thomas Stuber, Spuk unterm Riesenrad (2024). La magie d’une valse durant laquelle tous les espoirs sont permis. Un très beau film.