La seconde guerre mondiale est une période incontournable de l'histoire contemporaine qui a été largement racontée médiatiquement et artistiquement. Devoir de mémoire oblige, - et je ne remets par en cause cette nécessité - on rabâche à l'identique ses atrocités, ses folies, ses déboires, au point que tout récent média ou film qui traite du sujet, ne peine à nous étonner, à nous interpeller davantage.
Une vie cachée de Terrence Malik peut se targuer d'être une œuvre qui échappe à ce constat, illustrant un aspect qui a été peu exploré voire oublié de la seconde guerre mondiale, en s'appuyant sur des faits réels et un personnage qui a bel et bien existé. Franz, un jeune fermier des alpes autrichiennes semble vivre un amour heureux et passionné avec sa femme et son village natal. Il y a de quoi. Les paysages sont sublimes. L’endroit bucolique. Les montagnes dominent là-haut avec leur visage pointu, Les nuages caressent les collines, la verdure crève l’écran. Et si Terrence Malik, plantait ici le cadre qui nous permettrait d’adhérer à un point de vue autrichien pendant la seconde guerre mondiale ? Et si parmi eux, peut être n'étaient-ils qu'une poignée, l’on trouverait des hommes vertueux, objecteurs de conscience, prêts à mourir pour leurs valeurs, contre la voix d’un mal qui se lève partout autour d’eux, et qui remporte l’adhésion y compris dans son propre village.
Pour qui le matin se lève ? Pourquoi les oiseaux chantent ? A quoi servent les vivants ? Quel est le prix pour être libre ? Et qu’est ce que la liberté ? Est-elle enchainée ?
Si elle paraît difficilement atteignable pour le commun des mortels, la liberté ne semble pas échapper à l’œuvre du natif d’Ottawa. Son énergie visuelle rare, ses plans rapides et en mouvements, son ode à la photographie et ses véritables tableaux, ses voix off murmurantes et sa musique baroque accompagnent poétiquement cette marche délicate qui fait du cinéma de Malick, un art émouvant, grandiose et éblouissant. Tout ici est fait pour créer du contraste, pour faire ressortir le beau, revisitant le contexte historique par l’introspection. Il oppose la cruauté des nazis à la beauté des champs, à la magie des saisons, au bonheur familial. Si la verdure comme la foi de Franz, sont inébranlables, Il faut travailler d’arrache pied pour les entretenir, pour les défendre, pour les maintenir, l’une comme l’autre, toujours en vie.
Le réalisateur ne se contente pas d’humaniser une poignée d’hommes parmi les "ennemis". Il nous raconte la vérité de la vie. Les mythes et les croyances - quand ils contaminent la vie politique - peuvent créer une conscience collective néfaste et belliqueuse. Mais les hommes, pris à part, individuellement, en dehors de leur communauté, sont bons ou semblent ne pas être aussi mauvais que les idées qu’ils défendent.
Une Vie Cachée offre, malgré le contexte difficile et abimé, des preuves subtiles de sagesse et d’humanité. Le vieil homme nazi semble presque être désolé de la sentence qu’il prononce à Franz, les gardiens de prison comme les prisonniers regardent le convoi des condamnés à mort avec la même amertume, les villageois ayant appris la condamnation de Franz retendent la main à sa femme, la mère de Franz s'excusent de tout ce temps perdu auprès de sa bru…
Si Malick nous émerveille avec son style singulier au service d’une belle histoire, il nous invite à nous questionner en profondeur sur le choix tantôt héroïque, tantôt suicidaire, que défend son personnage principal, Franz. « Il vaut mieux subir les injustices qu’être à leur création ». C’est certain. Est-il pour autant raisonnable d’abandonner sa famille pour ses idées ? Doit-on protéger les siens ou faire triompher sa conscience ?
Qu’importe, Franz pourra toujours se rassurer :
Je t’aime, quoique tu fasses (…) je suis avec toi, toujours lui dit sa femme.