Qui aurait pu penser il y a de cela trois ans, qu'un petit bout de femme comme Alicia Vikander allait en aussi peu de temps, devenir une attraction telle dans le septième art mondial, qu'elle pourrait à elle seule pousser une horde de cinéphiles à se déplacer en masse dans les salles obscures, rien que pour y mirer son joli petit minois.
Certainement pas nous, même si nous étions évidemment de ceux à être littéralement tombé sous son charme dans le très beau Royal Affair mais surtout l'excellent Anna Karenine de Joe Wright; au sein duquel elle incarnait avec le précieux Domnhall Gleeson, une révélation des plus séduisantes.
Depuis, la belle suédoise a su joliment tracer sa route au gré des péloches au point même de devenir l'une des comédiennes les plus demandées du moment (voire même l'une des plus indispensables, tout simplement), statuette dorée à la clé.
Alex Garland, Guy Ritchie, Tom Hooper et Paul Greengrass hier, Justin Chadwick et Wim Wenders demain, la belle suédoise nous revient en ses premiers jours d'octobre avec le follement attendu Une Vie entre deux Océans, nouveau long métrage du talentueux Derek Cianfrance (les sublimes Blue Valentine et The Place Beyond The Pines); pour lequel elle partage - et ce pour la première fois - la vedette avec son compagnon à la ville, le génial Michael Fassbender.
Douloureux mélodrame adapté du roman homonyme (et best-seller) de l'australienne M.L. Stedman, The Light Between Oceans en v.o, permet au cinéaste de pleinement exploiter à nouveau sa fascination autant pour les thématiques de la famille (notamment le rapport à l'enfant) que celles des romances compliquées, avec un couple ici soudé par l'alliance autant sensible que tragique du mensonge et de la vérité; foyer d'un épanouissement amoureux plein de grâce qui finira pourtant par ronger leur coeur.
Lui, homme mutique et dont la sympathie masque une douleur intérieure insoutenable (que ce soit de par son enfance difficile ou le trauma de la première guerre mondiale) travaille comme gardien de phare pour le Commonwealth sur une île australienne.
Elle, est une femme aimante douloureusement condamnée par les caprices de la vie, qui se désespère de ne point pouvoir être mère.
Mais par un doux miracle, un canot vient un jour s’échouer sur la plage, avec à son bord le cadavre d’un homme et un bébé bien vivant...
Bien plus encore que pour ses précédents essais (notamment la froideur nostalgique de son Blue Valentine), Cianfrance soigne son cri d'une passion dévorante et perdue, avec un ton volontairement mystique et métaphysique - presque Malickien -, pointant du doigt le sous-texte du divin avec une application visuelle remarquable (la photographie est littéralement à tomber), faisant de Tom et Isabelle, deux âmes frappées par la force dévastatrice de dame nature, aussi bien sourde (l'impossibilité d'avoir un enfant) que tempétueuse (le cadre, prisonnié au milieu d'océans déchaînés, ou le retour du bâton après un acte impardonnable).
Sorte d'Adam et Eve arpentant une quête jouée d'avance - l'éphémère bonheur - dans un paradis trouble nommé Janus (dieu romain des commencements et des fins, mais également des choix), havre de paix supposément idyllique, se transformant au fil du temps en une terre bouillante de tragédies.
C'est d'ailleurs par amour pour sa femme, que Tom, gardien métaphorique de la lumière (celle du phare bien évidemment, mais également celle de la vie pour les marins) défiera la morale et la raison, par un choix l'enfermant peu à peu dans les méandres de l'obscurité.
Avec une alchimie et une complicité proprement indécente, les amants maudits Fassbender (tout en intériorité, à la fois mutique et poignant) et Vikander (beauté ingénue à la délicatesse et à la fragilité renversante), portent à bout de bras cette chronique sincère et troublante sur la fatalité de l'amour, dans laquelle la toujours juste Rachel Weizs (parfaite), personnalise le dilemme aussi monstrueux qu'empli de bonté, du sacrifice amoureux.
D'une incroyable finesse malgré quelques lourdeurs évidentes (l'écriture peut-être trop moraliste du cinéaste ou encore le score pourtant prenant d'Alexandre Desplat), déchirante d'intensité et d'émotions sans ne jamais tomber dans les facilités d'une peinture lacrymale férocement putassière; Une Vie entre deux Océans est une sublime fresque tragique venant presque d'un autre temps, littéralement suspendue aux lèvres et aux regards d'une complicité sans bornes de son couple vedette.
Une belle réussite, tout simplement.
Jonathan Chevrier
http://fuckingcinephiles.blogspot.fr/2016/09/critique-une-vie-entre-deux-oceans.html