Vas y Frankie, c'est bon !
Quand on cherche à définir le degré zéro de la création artistique dans le cadre de l'industrie du film de Hong Kong, le nom de Wong Jing vient naturellement à l'esprit. Mais le nabab a quelques sérieux concurrents dans le registre exploitationniste/opportuniste et parmi ceux-là on trouve l'inspiré Frankie Chan. Pour pousser plus loin la comparaison avec Wong, si l'un tient lieu de véritable industriel de l'exploitation, inondant le marché de multiples réalisations ou productions, l'autre est un petit artisan officiant uniquement avec des budgets réduits.
Conformément à son riche alter ego, Frankie tend à tout rapporter à lui. Ainsi Unforgettable Fantasy se voit officiellement crédité comme sa réalisation mais si l'on y regarde de plus près on découvre dans les crédits un mystérieux « executive director ». Ce genre de qualificatif est un moyen poli de désigner celui qui a fait la majorité de la mise en scène. Ici, il s'agit de Norman Law, réalisateur à tout faire autrement plus expérimenté que l'indécrottable moustachu. Reste que authentique réalisateur ou non, Unforgettable Fantasy porte bien la marque « nawakesque » du brave Frankie.
Parler de scénario pour un film de ce genre est toujours délicat. Il s'agit avant tout d'un empilement de genres vaguement reliés entre eux. Le but étant d'attirer un maximum de spectateurs, chacun susceptible d'accrocher davantage à une des facettes spécifiques du film. On s'amusera d'ailleurs à relever que ce scénario disparate a pour auteur un certain... Wong Kar Wai (même si il y a du avoir quelques altérations en cours de tournage).
La principale ligne directrice du récit est liée à la volonté qu'a Robert de conquérir le cœur de Cléopatre. Mais bien évidemment, celle-ci n'est qu'un prétexte et n'est jamais traité sérieusement. Cela vaut d'ailleurs mieux car Frankie avec son personnage habituel de playboy sûr de lui et supérieurement intelligent (un pur rôle de composition en somme) n'a aucune alchimie avec sa partenaire. Quand le métrage se décide, en toute fin de course, à intensifier l'aspect romantique, on tombe dans la mièvrerie la plus complète avec le type de « femme enfant » dont le cinéma HK raffole et une sérieuse baisse de rythme à la clé. Car comment voulez-vous émouvoir avec des personnages aussi développés qu'un ticket de métro et ni charisme ni talent de la part des acteurs ?
Pour autant, la plus grande partie d'Unforgettable Fantasy se sert donc de cette base romantique pour décliner les gammes habituelles du film de drague à la HK. Et c'est finalement la comédie qui prévaut le plus. Robert passe son temps à affronter Charlie (joué par l'incontournable Charlie Cho) dans une surenchère d'entourloupes destinées à séduire la belle jeune femme. On nage en plein terrain connu mais le sérieux inébranlable de Frankie et les facéties débiles de Charlie assurent un minimum de spectacle.
Tout cela est donc peu palpitant. Comédie gentiment nunulle, histoire d'amour traitée par-dessus la jambe, on remplit à peine le cahier des charges minimum de tout bon Frankie. Heureusement, ce dernier ne nous laisse pas complètement tomber ! Car Unforgettable Fantasy a également une facette fantastique avec sa fairy accidentellement délivrée par ce brave Robert. C'est grâce à cet aspect que Frankie va pouvoir donner le meilleur de lui-même dans quelques séquences hallucinantes dont lui seul a le secret. Il s'agit bien sur de l'incroyable combat contre un sphinx en carton aussi correctement chorégraphié que débilement inventif. Mais le film est, pour notre plus grande joie bissophile, parsemé de tels moments allumés, que ce soit quand Frankie doit affronter une bande de punks discos se multipliant comme des petits pains ou quand il se fait draguer sévère par une Chan Laap Ban probablement peu habituée à ce type de rôle. Merci Frankie pour une telle connerie assumée. On sera par contre moins indulgent envers les gags ouvertement racistes qu'il semble tant apprécier (« Une promesse peut se briser, autrement comment ferais tu si tu avais promis d'épouser un nègre ? » dit-il à sa compagne l'air de rien).
Unforgettable Fantasy n'est assurément pas ce que l'homme à la moustache nous a fourni de meilleur. Le métrage parvient cependant à conserver notre attention grâce à sa crétinerie assumée et les pulsions bisseuses de son auteur. Pour paraphraser un célèbre poète noir (gageons que Frankie apprécierait l'ironie) : « Vas y Frankie, c'est bon, vas y Frankie, c'est bon, bon, bon » !