Unfriended, outre son titre original très discutable (Cybernatural, really ?), est une sacrée prise de risque pour le genre horrifique. Avec aussi peu de moyens, et une session Skype d'une heure et demie comme plan séquence, le film avait de grandes chances de se casser la gueule. Et pourtant, il se démarque très vite par sa capacité à innover en matière d'épouvante.
Le pitch : Après le suicide d'une jeune lycéenne, un groupe d'adolescents se connecte sur Skype pour discuter, quand un intrus s'incruste dans la conversation afin de les terroriser.
Le film s'ouvre tout de suite sur un écran de Mac. Pas une caméra qui filme un moniteur, non ; l'écran fait tout le plan : le film semble se passer sur votre ordinateur (effet garanti si vous regardez le film sur votre Mac.) Le contexte est rapidement mis en place à travers l'écran de Blaire, l'un des personnages. C'est par sa main, ses clics et messages divers que nous suivrons donc toute l'intrigue. Ce procédé d'identification s'avère d'une indéniable efficacité. Sur tous les plans, le spectateur est alors complètement immergé. Il est impossible de s'enfuir du cadre imposé par le réalisateur : l'écran de Blaire est un huit-clos où l'on ne peut s'enfuir indemne.
La confusion entre l'écran du film et son propre écran dépassée, l'identification se poursuit à travers les actions triviales des personnages qui s'envoient des messages via iMessages, Skype et Facebook. Ils écoutent de la musique sur Spotify, ouvrent des dossiers zip, et regardent des vidéos sur Youtube. Si la plupart de ces détails peuvent être tout à fait inconnu aux plus de 60 ans (pas de généralisation, ma grand-mère a Facebook), ils sont pour le public cible une réalité quotidienne qu'il retrouve alors dans la fiction, transformant d'autant plus l'écran du personnage en miroir de ses propres habitudes. La justesse du cadre est telle que les bugs visuels et audios propres aux logiciels de téléphonie sont également conservés : est-on réellement dans la fiction, ou faisons-nous l'objet d'un partage d'écran forcé ? La limite est moindre, et pour cause : la perte de contrôle devient très rapidement le noyau de l'intrigue.
Le film dénonce globalement les déviances de la technologie sur la génération Y, et immortalise alors les conséquences néfastes de sa dépendance pour le monde virtuel. Les progrès informatiques et la montée des réseaux sociaux a considérablement modifié le comportement de l'individu lambda ; l'image de l'adolescent en quête du plus grand nombre de like n'est plus à présenter. Dans ce besoin maladif de faire le buzz, la clémence et l'empathie sont vite remplacées par la cupidité et le mouvement de foule. "On l'a fait parce que tout le monde le faisait." Exemple type du regret sincère qu'on éprouve trop tard, une fois que le mal est fait. Solidarité zéro et influence totale.
Inspiré de faits réels, le film se base donc sur le cyber-shaming (ou le cyber-bullying), qui consiste à humilier une personne sur Internet, par une photo, une vidéo, ou simplement des mots censés lui faire défaut. De nombreuses victimes de cybershaming se sont données la mort suite au harcèlement constant dont ils étaient la cible. C'est le cas du personnage de Laura Barns, qui revient sous la forme d'un virus informatique destiné à se venger.
Si le film se base sur une traditionnelle (et redondante et bancale...) hypothèse de possession démoniaque - ici adaptée au monde informatique -, il rappelle surtout via ce procédé qu'on ne contrôle jamais vraiment ce (et ceux) que l'on pense connaître. Qu'il s'agisse d'Internet, de son ordinateur ou de ses propres relations, chaque sujet a sa part d'ombre et le contrôle n'est jamais vraiment acquis : votre Facebook est piraté, votre ordinateur ne vous répond plus, et vos meilleurs amis vous ont déjà trahis. Dans un monde où le virtuel régit de plus en plus nos vies, Unfriended laisse entendre que, sur le long terme, personne n'est épargné.
Le film n'est pas sans défauts pour autant. La dimension surnaturelle frôle rapidement le cliché et la fin aurait gagné à être rognée de trois secondes (no spoil c'est promis.) Certaines scènes tombent vite dans le ridicule plus que dans l'effroi ; plutôt que de mettre un peu de sang ça et là, l'ensemble aurait dû se contenter de ce jeu de connexion et de hack, bien plus actuel et effrayant dans le contexte établi. Si le film met réellement mal à l'aise, on ne peut pas vraiment dire qu'il soit terrifiant pour autant.
Pour conclure, Unfriended innove là où Poltergheist avait déjà préparé le terrain avec la télé en 1982 : le mal est réel, et il existe dans ce et ceux qu'on pense être nos alliés au premier abord. Si Internet et la réalité virtuelle ne sont que le prolongement de l'esprit de l'homme, ils ont suffisamment prouvé leur suprématie sur notre entendement et notre logique. Sartre le disait déjà à l'époque : l'enfer, c'est l'autres ; et sur le net, surprise : pas de place pour les états d'âme.