Une bien belle occasion remarquablement manquée.

Pourtant, c'était plutôt bien parti, au départ. L'idée est intéressante (quatre personnes étrangères les unes aux autres choisissant le même endroit et le même moment pour se suicider, et s'improvisant famille de substitution pour voir s'il est possible de sauver les meubles), comme l'est à la base tout assemblage improbable de personnages a priori sans points communs. Lesdits personnages sont joués par un quatuor lui aussi très hétéroclite d'acteurs de talent (Pierce Brosnan en célébrité déchue, Toni Collette en mère-courage un peu fatiguée, Imogen Poots en fille de politicien traumatisée par la disparition de sa sœur, et Aaron "BrBa" Paul en ex-rockeur éphémère totalement paumé) qui accordent leurs jeux dès leur première scène, sur le toit de l'immeuble où tout commence. Et puis l'on n'est jamais contre une petite histoire de remontage de pente, son optimisme fût-il un brin niaiseux, tant qu'elle convainc un minimum, puisqu'un de ses objectifs est, après tout, de redonner le moral à ses spectateurs déprimés, et que ça ne se fait pas en rappelant simplement sur un carton qu'elle est belle, la vie.

Las !, A Long Way Down échoue modérément à cet exercice, puisqu'il ne sait pas vraiment quoi faire de tout ça. (Note : le film est tiré d'un roman de Nick Hornby que l'auteur de ces lignes n'a pas lu, aussi tiendra-t-il pour seul responsable le pauvre scénariste innocent.) Passons sur la réalisation inepte du français Pascal Chaumeil, ancien assistant de Luc Besson qui a eu la mauvaise idée de sortir de l'anonymat en réalisant ces dernières années des romcoms toutes aussi ineptes (L'Arnacoeur et Un Plan Parfait [sic]) : l'histoire inspirant une pièce de théâtre tout autant qu'un film, sa caméra aurait presque pu se contenter du minimum syndical sans faire trop de dégât si l'écriture avait été de qualité. Le vrai problème est que tout est survolé avec une facilité déconcertante par un scénariste un peu tâche (Jack Thorne, derrière le récent How I Live Now, ou un autre film avec un départ prometteur et un développement peu inspiré). Martin Sharp a sauté une gamine de 15 ans et fait un peu de taule après ? Vous n'en saurez jamais plus (donnant au passage l'impression que le film minimise drôlement son crime) ! On s'arrête deux minutes chrono sur le fils handicapé moteur de Maureen : oui, c'est dur, on sait. JJ ne sait pas quoi faire de sa vie. Mais encore ? La grande soeur de Jess a carrément disparu, probablement assassinée par un tueur en série et enterrée quelque part, ou bien servant en ce moment même d'esclave sexuelle dans un bordel ukrainien ? Allez, c'était juste histoire de dire, la vie continue. Comme souvent dans les histoire mal fichues, les personnages n'ont étrangement aucun ami avant de se rencontrer - sinon, ça deviendrait trop compliqué à gérer, vous pensez bien. Pour finir, ce petit monde se déchire et se rabiboche facilement, selon les besoins du film. De fait, on n'entre pas souvent dedans : il est par exemple difficile de croire que des personnages aussi différents que l'égocentrique et superficiel Martin et l'effacée et pas vraiment intéressante Maureen puissent devenir potes juste parce qu'y faut. La durée du film (à peine 1h30 !) ne l'autorise pas à dépasser le petit bain là où tout bon récit de quatre individualités retrouvant goût à la vie aurait dû s'aventurer une bonne vingtaine de minutes de plus jusqu'au grand bassin, quitte à perdre pied : on aurait au moins salué la prise de risque.

Le manque de balance dans le traitement des personnages est une des conséquences de cette écriture hasardeuse. Le seul qui prend chair est celui de Jess, l'élément comique du film qui comme par hasard est celui qui tient à réunir tout ce petit monde au départ en faisant sa "stalkeuse" de service. C'est accessoirement le seul dont on connait un proche (son père, un peu inutile mais joué par le grand Sam Neill, bonus bienvenu quand le gars se retrouve face à James Bond dans une scène assez amusante). À la limite, le scénariste aurait mieux fait d'assumer cette préférence en faisant de Jess l'héroïne du film et des autres des personnages secondaires mais hauts en couleurs - et c'est là que les vingt minutes supplémentaires n'auraient pas été de trop. Il aurait pu, au passage, développer sa qualité de rassembleuse, celle qui, par sa volonté sans faille et son charisme juvénile, aurait maintenu l'unité de cette petite équipe dysfonctionnelle. Las : la seule embardée de groupe, la seule jonction dans la folie inoffensive où peut commencer ce fichu remontage de pente, se résume à un petit séjour à la plage lui-même réductible à une danse, trois échanges sans grande profondeur, deux mandales amicales, et aucune progression psychologique véritable. Les monologues intérieurs se comptent sur les doigts de la main, alors qu'ils pouvaient mâcher le travail du scénariste en apportant facilement bon nombre de pistes.

Le problème est peut-être que le suicide est devenu un sujet un peu trop galvaudé au cinéma, donnant l'impression qu'on peut écrire à son sujet sans l'explorer/étudier au préalable, donnant de nombreux exemples où tout s'explique par une seule ficelle bien grosse (ma femme est morte, je suis ruiné, blablabla), et se résout avec une facilité déconcertante (hey, mais en fait, j'ai des amis qui pensent à moi !). De ce point de vue, le peut-être surestimé Silver Linings Playbook de D.O.Russell était autrement plus pertinent. JJ ignorant jusqu'aux raisons de ses pulsions suicidaires était le plus intéressant à développer : on connait la suite. Ou l'absence de suite. Le superficiel bonne pâte ruine carrément la résolution du personnage de Maureen, lorsque le film présente comme une bonne chose [spoiler alert], et dans une morale un peu énervante, le fait que son grand fils handicapé moteur à 300%, auquel elle a consacré sa morne vie, survive pour de nouvelles et joyeuses aventures, alors que ni elle ni lui ne méritaient ça.

En résumé, et en forçant le cynisme, A Long Way Down nous présente quatre personnages au plus bas, et ne parvient jamais vraiment à expliquer POURQUOI ces pauvres âmes devraient poursuivre leurs tristes existences.

Généralement, le meilleur acteur du monde ne peut sauver un film qui n'y met pas un minimum de bonne volonté. A Long Way Down s'autorise une bande originale de qualité (I Found You d'Alabam Shakes, In This Shirt de The Irrepressibles, I Will Survive de Cake, 17 ans déjà !) et quelques beaux plans (JJ nageant loin de la côte au beau milieu de la nuit, rappelant Matthew Modine à la fin de The Blackout, le côté mort en moins), mais... pouvait clairement mieux faire, même avec ces moyens. Alors ? Alors, on va quand même être clément. Brosnan et son amusant vieux beau vivant mal sa disgrâce, Collette et sa mère-courage effacée par la grisaille de la vie (si ténu son personnage fût-il), Aaron Paul et son Jess Pinkman bis, et Imogen Poots en gamine cachant son mal-être sous des kilos d'excentricité, parviennent malgré tout à sauver la barque. De très, très peu, mais quand même.

Ne nous leurrons pas : c'est surtout à cette dernière que le film doit sa quatrième étoile qui, sans le hisser à la moyenne, lui épargne le total déshonneur. Son minois frondeur aussi sexy que cartoonesque avec ces grands yeux intenses et cette grande bouche pleine de sourires, sa voix mélodieuse et son spectaculaire accent so british, son habileté à passer du répertoire comique le plus hystérique à la tragédie la plus chouinante, font de la crevette blonde l'effet spécial du film. Elle est l'élément salvateur d'une comédie dramatique autrement plate, comme elle était un des rares rayons de soleil du sans relief A Very Englishman. Une simple décision de casting peut parfois changer bien des choses. Enfin, quelques unes.
ScaarAlexander
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le 14 juil. 2014

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ScaarAlexander

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