La critique complète : http://cinecinephile.com/us-psychanalyse-dune-famille-afro-americaine-moyenne-par-jordan-peele/
Deux ans après Get Out (2017), succès inattendu qui a révélé l’humoriste Jordan Peele en tant qu’auteur de cinéma de genre de talent, le cinéaste est de retour avec Us. Un second long-métrage plus attendu que son premier film qui avait crée la surprise, qui s’annonçait sur le papier plus ambitieux, plus introspectif, mais aussi plus politique et actuel. Une attente qui pouvait laisser présager une déception, tant il est difficile après un premier film aussi maîtrisé de frapper aussi fort avec son deuxième. Avec Us, Jordan Peele n’avait pas d’autre choix que de nous surprendre, être là où l’on ne l’attend pas, ce qui fait beaucoup de poids sur les épaules d’un cinéaste émergent. Mais avec ce second long-métrage, le cinéaste nous prouve qu’il n’a pas encore rabattu toutes les cartes de son cinéma et de ses obsessions.
Ce qui frappe à première vue dans Us, c’est la manière avec laquelle Jordan Peele inverse intelligemment les motifs narratifs et esthétiques de son précédent film. Là où Get Out nous contait l’histoire d’un jeune homme noir qui visitait le foyer de ses beaux-parents blancs de classe moyenne supérieure, où il était l’intrus qui se faisait malmener, cette fois c’est le foyer d’une famille noir afro-américaine de classe moyenne qui se retrouve mis à mal par l’intrusion de leurs doubles maléfiques auxquels ils se retrouvent confrontés, le cinéaste investissant les codes du Home Invasion, sous-genre d’un cinéma de genre politique, évoquant clairement des références cinéphiles allant de La nuit des morts-vivants de George Romero (1968) à Funny Games US. de Michael Haneke (2007).
À travers cette question du double maléfique, Jordan Peele nous conte l’histoire d’une Amérique divisée, à travers une introspection du mode de vie de la famille américaine moyenne. Le cinéaste emprunte à la figure du conte, à l’image d’un prologue cauchemardesque dans un labyrinthique palais des glaces d’une fête foraine de Santa Cruz, où une petite fille afro-américaine se retrouve confrontée à son propre reflet, dans un miroir qui prend littéralement vie. Les effets miroirs sont nombreux dans Us, des trompes l’œil hypnotique où Jordan Peele use d’un véritable sens de la mise en scène pour créer des purs visuels, des motifs stylistiques Kubrickiens qui ne sont pas sans rappeler l’étrangeté visuelle d’un Shining (1980). Le cinéaste oscille entre une esthétique psychanalytique qui convoque des images de pure terreur psychologique avec des moments de pure série B grand guignolesque. Une rupture de ton entre l’horrifique et le grotesque que n’aurait pas renier un certain M. Night Shyamalan, à l’image de ses récents The Visit (2015), Split (2017) et Glass (2018).
[...] La dernière demi-heure du film enchaîne les purs moments de bravoures esthétiques, l’épilogue répondant au prologue dans son aspect de conte horrifique dérangeant, avec un rapport au corps organique sidérant dans sa violence, qui laisse de multiples possibilités d’interprétations dans ses motifs narratifs et esthétiques, autant sur le plan métaphorique que politique. [...] Avec Us, Jordan Peele signe une fable horrifique viscérale sur les névroses d’une Amérique divisée, s’inscrivant dans la continuité thématique de son Get Out. Avec ce second long-métrage, le cinéaste confirme son statut d’auteur singulier et prometteur dans un cinéma de genre actuel et politique.