Criticommentaire émanant d'une liste (comme d'hab').


Cinéma-expérience qui laisse des traces et une forte impression. Objectivement y'a plein de raisons d'être sceptique voire de ne pas aimer le parti pris "cru" de la mise en scène, mais perso j'ai préféré prendre le train en marche [EM! tmtc] pour suivre cette caméra virevoltante, bâtarde, entre vision subjective qu'on croirait venir d'un personnage et cadrage façon reportage de guerre lors des scènes de tumulte, documentaire lors des scènes plus intimistes, voire film de vacances, quand la camaraderie est de mise. En tout cas c'est fort réussi, on est pris aux tripes par cette tension latente quasi-permanente, dissipée par quelques longueurs dues à des dialogues dispensables.


Pour la fidélité et l'authenticité, on repassera [rien que l'âge des victimes, 15-16 ans en moyenne, ne semble pas correspondre à celui des acteurs], mais l'essai a le mérite de ne pas laisser indifférent, suscitant ainsi l'indignation, autant envers les agents de police et le gouvernement pour leur relative inertie, qu'envers cette raclure de Breivik qui s'attaque à des gamins sous couvert d'idéologie élitiste, qu'envers cette foule trop emparée par l'instinct de survie pour riposter en nombre contre cet homme, prétendument seul [certains témoignages parlaient d'un complice, mais Breivik dit avoir agi seul, en tout cas à Utoya]. Quoi qu'il en soit le film retranscrit très bien la terreur qui s'est emparée de cette petite île sans échappatoire, faisant penser à un Battle Royale tristement réel.


Plus encore, le réalisateur ne s'y est pas trompé en utilisant la fiction comme une des meilleurs manières de sensibiliser la masse [moi y compris qui avais presque oublié cette tuerie et n'en connaissais pas certains détails] à ce sordide fait divers qui a fait 80 morts. Un film mettant en scène des personnes en chair et en os occupées entièrement à leur survie sera toujours plus parlant et fédérateur que des pages Wikipédia, des dépêches, des articles, des sujets télé présentant une narration des événements biaisée (elle aussi), à froid, à voix posée, à la syntaxe formatée, mettant à distance le vécu des victimes, et même le nombre des morts, qui ne devient plus qu'une suite de chiffres s'ajoutant à la longue liste des morts quotidiennes.


PS : je suis étonné de voir les réactions de quelques personnes vis-à-vis des inserts de texte finaux, concernant la montée de l'extrême droite au sein de l'Europe. D'une part, il s'agit d'un fait : plusieurs pays ont élu un gouvernement d'extrême droite ou une coalition comprenant l'extrême droite, et d'autre part, l'attentat de Breivik était connoté politiquement puisque lui-même revendiquait une action contre le gouvernement [il visait en priorité une membre du parti travailliste [plus ou moins l'équivalent du PS], mais celle-ci a quitté l'île peu de temps avant qu'il n'arrive], tout en se fendant d'un manifeste (2083: A European Declaration of Independence) visible sur internet peu de temps avant la tuerie, aux thématiques qui se placent majoritairement du côté de l'extrême droite moderne [lire l'article "Quelle est l’idéologie de Breivik ?" d'Agoravox pour lire un avis pertinent sur la question]. L'attentat a toutes les caractéristiques d'une action politique (la formalisation préalable du propos politique, l'action concrète, puis la revendication), comme les anarchistes se sont fendus d'actions directes politiques qui ont fait des morts, par exemple en Allemagne ou en France dans les années 80-90.


A croire qu'il s'agit d'un problème d'inconfort personnel face à la notion d'"extrême". Bien sûr que le terme est instrumentalisé par les socio-démocrates [qui en vérité n'ont pas grand-chose de socio, ou tout juste pour acheter la paix sociale, et qui ne sont pas non plus démocrates pour un sou, dans une Union Européenne où la commission n'est même pas élue au suffrage universel, et dans des pays où on a droit à un simulacre de démocratie avec la démocratie pseudo-représentative, vous savez, comme quand France 2 désigne la personnalité préférée des français sans vous avoir demandé votre avis, ou que les éditorialistes parlent à votre place en utilisant les phrases rituelles "les français pensent que"/"ce que veulent les français", ou encore quand on vous assène le dernier sondage d'opinion à la mode, toujours sans vous demander votre avis] pour désigner les "méchants" pour qui il ne faut surtout pas voter, mais le terme a aussi le mérite de donner une idée de la position d'un parti sur ce qu'on appelle "l'échiquier politique". A voir après si en effet, selon vous, les mots employés en politique ont encore un sens, si le PS est toujours un parti de gauche, si la FI est d'extrême gauche, si vous voyez plus le social du FN que l'idéologie nationaliste prédominante de ses origines. Après, à vous de voir si vous voulez vous farcir les 1500 pages du manifeste pour vous faire votre propre avis sur ses innombrables nuances de gris, mais vous pouvez également lire les compte-rendus d'audiences et voir les vidéos de celles-ci pour vous faire une idée de l'idéologie du bonhomme.

Adrast

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