On croit d'abord que le lointain du titre du film n'est nulle part. Nous le cherchons dans ces rituels, dans ces tentatives d'approche, dans ces paysages enneigés, cet ennui existentiel. On regarde un homme changer la cassette de Stalker pour un mauvais porno. Le lointain que promet le grand cinéma n'est même plus désiré - le porno, cet intimisme toc, devient alors le seul confort de l'homme moderne. On croit que c'est un cinéma de la boucle, un cinéma du retour sur soi, un cinéma du vain, du même. Et puis le film avance, cahin caha, se dépouille. Le lointain arrive finalement là, vibrant, dans un film qui fait semblant de dormir mais qui nous éveille à nous-même. Un homme contemple l'absence de son prochain, qu'il a tant méprisé, tant toisé. Celui ci lui a laissé un paquet de cigarette derrière son lit, dont il fume la dernière devant un soleil voilé. Il est enfin sorti de chez lui, il a vaguement tenté de retrouver la femme qu'il aime avant qu'elle parte - il n'a pas osé, mais tant pis, le geste est là. Il s'est assis sur ce banc. Il a quitté cet appartement que la caméra, qui n'a de cesse de scruter les intérieurs, les failles de l'âme, les précipices de l'intime, a regardé tant de fois. C'est lui qu'elle regarde maintenant, dépouillé, tout nu dans la neige d'Istanbul. Il le regarde ce soleil, ou alors, se dit-il, c'est le soleil qui le contemple. On se rapproche de lui - pas la caméra, qui reste fixe, qui tente à peine un zoom qui en dit long. Le film arborait des coupes franches, il quitte désormais ce visage dans un fondu au noir. Et ça aussi, ça en dit long. Qu'au lieu de disparaître, Ceylan filme un visage qui s'efface, qui se dissout dans la grandeur du monde. Il y a tout ça dans ce dernier plan, l'un des plus beaux que j'ai pu voir dans ma vie de cinéphile. Une ouverture au lointain, une invitation à nous regarder nous même - et donc, peut-être, à regarder le monde. Uzak n'est pas un film nihiliste. C'est un film qui voit le monde à l'entrée de nos cuisines.

B-Lyndon
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le 12 août 2018

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