Revoir V for Vendetta au lendemain de la promulgation d’une loi liberticide et esclavagiste en France, au cœur d’une Union Européenne mortifère, dont le président clame haut et fort combien la démocratie ne peut exister face aux nombreux traités et directives supranationales, prend un sens particulier, sans malheureusement apporter de solutions concrètes vers l’issue que nous cherchons, que nous souhaitons paisible autant que possible.
Dans une Angleterre soumise au fascisme d’un chancelier avide de pouvoir et ultra-agressif, l’écume aux lèvres de John Hurt en gros plans éructant sa colère et sa haine dans une salle sombre, un vengeur masqué apparaît pour rappeler à ses concitoyens un épisode soigneusement oublié de l’Histoire de leur pays, exacerber un symbole d’espoir et tenter de faire du cinq novembre et de la tentative de Guy Fawkes de faire sauter le parlement un acte libertaire et salutaire. Le vengeur anglais ne s’attaque pas aux détrousseurs des rues ou aux petits larcins des bas-quartiers, mais aux puissants, à tous ceux qui se sont hissés au sommet des différents pouvoirs à coups de magouilles et d’arrangements. À coups de manipulations sécuritaires et terroristes.
L’ambiance est anxiogène
et pourtant le film porte un espoir toujours grandissant.
« Si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans le miroir »
Lors d’un discours clairvoyant et accessible à tous, le héros, anonyme derrière le masque du révolutionnaire britannique, explique en détails comment le peuple, comment tout un chacun a laissé s’installer ce pouvoir froid et autoritaire par un « consentement silencieux et docile », qui rappelle inévitablement les consentements silencieux et dociles que tous les peuples européens accordent de nos jours à des gouvernements qui les trompent et les trahissent sans cesse, soumis à une Europe abstraite vendue à l’enrichissement personnel d’un groupe bien trop restreint d’individus irrespectueux de l’homme et cupides.
« Il n’y a pas de certitude, il n’y a que des opportunités »
Pour combattre le système en place, aucune voie d’action concrète, à peine une utopie, mais une envie : celle de raviver la mémoire des citoyens, de reconnecter leurs neurones niés par l’asservissement au système. L’envie d’éveiller le peuple à sa propre volonté et de rallumer les nuits de rêves. Un rappel, évident, indéniable, qui devrait être la base d’une démocratie réelle :
« Les peuples ne devraient pas avoir peur de leur gouvernement. Les
gouvernements devraient avoir peur du peuple »
Derrière la révolte politique, V for Vendetta met pourtant bien en scène une vengeance personnelle, un homme défiguré et transfiguré par d’inacceptables expériences, mais là encore, la personnification continue. Derrière ce masque qui se répand, c’est tout un peuple qui souffre de ces manipulations inhumaines de leur quotidien :
« Ce qu’ils m’ont fait était monstrueux… »
Il est aisé pour les médias de dénoncer une violence soi-disant gratuite, de ne montrer qu’un seul aspect de cette violence et de condamner des réactions en omettant d’énoncer les causes de ces actes. Il est facile d’oublier de préciser que la violence populaire répond à la violence d’État. Il est trop facile de manipuler le citoyen lambda prêt, dans un monde surchargé d’informations, à avaler sans y réfléchir un discours fabriqué, et toute une partie du film s’attaque intelligemment au problème lors de certaines séquences inoubliables au cœur du processus de mise en scène de l’information nationale.
« Et ils ont créé un monstre »
Le monstre c’est la force populaire. C’est l’éveil. C’est le peuple dans la rue, celui qui prend conscience, qui pense par lui-même, ce peuple qui se souvient soudain du goût vif, éclatant et pétillant, de la liberté. Qui se rappelle des joies de la diversité, des couleurs de l’échange.
« Sous ce masque il y a une idée et les idées sont à l’épreuve des
balles »
La répression policière, l’enfermement, la torture, les mensonges. Tout l’arsenal physique de la dictature ne peut venir à bout d’une idée : l’utopie se propage comme un virus et tous les murs que l’on érige, aussi hauts soient-ils, aussi épais et sécuritaires, ne peuvent empêcher les idées de circuler. Les mots sont les armes les plus affûtées qui soient.
Alors oui, revoir V for Vendetta en ces temps de fascisation libérale européenne, en ces temps d’obéissance aveugle de nos gouvernants aux promesses d’enrichissement du capital, en ces temps de trahisons populaires, devrait être un rappel obligatoire aux assoiffés de liberté, à tous ceux qui rêvent d’une autre Europe, solidaire, et d’un autre monde : sans frontière !
Contre l’ordre, le chaos !