Après l’échec commercial de Treasure Planet en 2002, Ron Clements et John Musker, vétérans des studios Disney, envisagent une retraite anticipée, déçus par la réception de leur film. Cependant, l'arrivée de John Lasseter à la tête de Disney Animation ravive leur carrière. John Lasseter, fervent défenseur de l’animation traditionnelle, les convainc de revenir pour réaliser The Princess and the Frog en 2009. Ce film, conçu comme un hommage aux grands classiques en 2D de Disney, marque un retour aux techniques d’animation traditionnelles après une décennie dominée par la 3D. Bien que son box-office soit inférieur aux attentes, le film est globalement bien accueilli par la critique pour sa qualité artistique et son hommage aux contes de fées, ce qui encourage Clements et Musker à se pencher sur un nouveau projet.
Ron Clements et John Musker présentent trois nouvelles idées à John Lasseter, qui est séduit par l’originalité de Moana. Ce projet, qui explore les mythes et traditions polynésiennes, se distingue par son cadre en Océanie, un territoire rarement représenté dans les films d’animation Disney. Ce choix s’aligne parfaitement avec l’esprit d'aventure et de découverte cher au studio, offrant un véritable dépaysement aux spectateurs. L’histoire permet de mettre en lumière une culture riche en mythologie, rituels et figures héroïques, renforçant la volonté de Disney de diversifier ses récits et de rendre hommage aux cultures du monde.
Pour s'immerger dans la culture polynésienne, Ron Clements, John Musker et une équipe de créatifs de Disney effectuent un voyage d’études de deux semaines en Océanie, suivant une approche de recherche immersive que les studios Disney appliquent à chaque grand projet. Ce périple les mène aux Fidji, à Samoa, Tahiti, ainsi qu'en Nouvelle-Zélande et à Hawaï, où ils découvrent la complexité de cette région éclatée en Polynésie, Micronésie et Mélanésie, une division perçue comme artificielle par les habitants, qui voient l'océan comme un lien unificateur. En s'immergeant dans cette culture, les artistes découvrent l'histoire fascinante des navigateurs polynésiens : il y a environ 3.000 ans, ces explorateurs intrépides parcouraient l’immense Pacifique, avant d’interrompre leurs voyages pendant près d'un millénaire pour des raisons encore mystérieuses. Cette pause inexpliquée dans leurs explorations devient alors le point de départ de leur intrigue.
Pendant la production, Ron Clements et John Musker, réalisateurs expérimentés, s’associent avec deux jeunes talents de Disney, Don Hall et Chris Williams, qui sont désignés comme co-réalisateurs. Leur implication permet de dynamiser la narration et d’apporter des éléments techniques et stylistiques innovants, répondant ainsi aux attentes d'un public contemporain. Ce mélange d'expérience et de nouvelles perspectives crée une synergie qui enrichit le film, contribuant à son succès critique et à l'authenticité de son hommage à la culture polynésienne.
En 2016, Disney sort donc deux grands succès d’animation : Moana et Zootopia, deux films très différents qui montrent la diversité et la richesse des récits proposés par les studios cette année-là.
En France et dans plusieurs pays européens, Moana a été rebaptisé Vaiana, un changement de titre qui a suscité quelques interrogations. Ce choix est dû en partie à des raisons de droits : en Italie, par exemple, Moana est associé à Moana Pozzi, une célèbre actrice italienne des années 1980 et 1990, connue pour sa carrière dans le cinéma pour adultes. Très médiatisée et devenue une figure emblématique en Italie, son nom est resté bien ancré dans la culture populaire italienne. Pour éviter toute confusion ou controverse liée à cette association, Disney a donc décidé de renommer le film Vaiana qui signifie « eau de la grotte » en tahitien, pour rester cohérent avec le thème polynésien du film.
Le film se distingue par son profond respect de la culture polynésienne, que l’équipe créative de Disney a soigneusement étudiée pour éviter les stéréotypes et représenter cette riche culture de manière authentique. Les réalisateurs et une équipe de designers, scénaristes et musiciens ont voyagé dans plusieurs îles du Pacifique comme dit plus haut pour rencontrer des spécialistes de la culture locale, des historiens, et des membres des communautés insulaires. Cette immersion a influencé de nombreux aspects du film, des motifs artistiques aux croyances spirituelles en passant par les costumes, la musique et les pratiques traditionnelles de navigation polynésienne. Ce souci de fidélité se retrouve aussi dans la représentation de l’océan, considéré non comme une barrière mais comme un lien unissant les îles et leurs habitants, une perspective essentielle de la vision polynésienne du monde.
Le récit est avant tout un appel vibrant à l’aventure et à la liberté, incarné par son héroïne qui, bien qu’elle soit la fille du chef et donc destinée à devenir le leader de son peuple, ressent un désir profond d’explorer l’océan. Contrairement aux princesses classiques qui aspirent souvent à l’amour ou au devoir familial, Vaiana est poussée par une quête de découverte et de dépassement de soi. Elle écoute cette « voix intérieure » et répond à l’appel de l’océan, même si cela va à l’encontre des attentes de son entourage. Cette aventure lui permet de renouer avec l’histoire de son peuple, autrefois de grands navigateurs, et de redonner à sa communauté une identité et une fierté liées à la mer. À travers Vaiana, le film célèbre le courage, la curiosité, et le fait de suivre son propre chemin, montrant qu’il est possible de concilier responsabilité et passion pour l’inconnu.
Au fil de son périple et de sa relation tumultueuse mais enrichissante avec Maui, Demi-Dieu de la mer et du vent, Vaiana découvre non seulement le courage nécessaire pour affronter l’océan, mais aussi l’héritage de ses ancêtres navigateurs. En apprenant les secrets de la navigation traditionnelle polynésienne, guidée par les étoiles et les courants marins, elle renoue avec un savoir-faire ancestral que son peuple avait oublié. Ce voyage initiatique lui permet de comprendre et d'embrasser pleinement son identité et celle de ses aïeux, faisant d’elle non seulement une exploratrice accomplie mais aussi une guide capable de redonner à son peuple le goût de l’aventure et du voyage. À travers cette transformation, Vaiana incarne la résilience et l’héritage culturel de ses ancêtres, retrouvant et perpétuant leur lien profond avec l’océan.
À travers sa relation avec Vaiana, Maui redécouvre le véritable sens de son rôle de Demi-Dieu et évolue pour devenir celui qu’il a toujours voulu être : un héros au service des hommes. Au départ, Maui est arrogant et en quête de reconnaissance, ayant souvent accompli ses exploits pour la gloire personnelle. Mais son aventure avec Vaiana le transforme en profondeur. Il réalise que sa valeur ne réside pas seulement dans ses pouvoirs ni dans l’admiration qu’il souhaite obtenir, mais dans le bien qu’il peut apporter aux autres. En aidant Vaiana à accomplir sa mission, il retrouve son propre chemin et apprend à agir par altruisme, renouant ainsi avec l’esprit bienveillant des légendes. Finalement, Maui devient véritablement un héros pour les hommes, pas pour l’admiration qu’il en retire, mais pour l’impact positif qu’il laisse sur leur vie et leur avenir.
Le film propose aussi une forte dimension écologique à travers le personnage de Te Fiti, Déesse de la nature et incarnation de la vie elle-même. Dans l’histoire, le vol du cœur de Te Fiti par Maui provoque un déséquilibre écologique qui se manifeste par la corruption de l’environnement, les plantes qui dépérissent, et la mer qui devient hostile. Cette perte de l’équilibre naturel met en péril l’ensemble des îles et de leurs habitants, illustrant les conséquences dévastatrices de l’exploitation égoïste de la nature. En restituant le cœur à Te Fiti, Vaiana et Maui restaurent l’harmonie écologique, symbolisant l’importance de préserver et respecter la Terre comme source de vie. Le film délivre ainsi un message fort sur le respect de la nature, montrant que les actions humaines peuvent être destructrices si elles ne prennent pas en compte le fragile équilibre de notre environnement, mais aussi qu’il est possible de réparer les erreurs en renouant avec les valeurs de respect et de protection envers la planète.
L’animation atteint un niveau spectaculaire, en particulier dans le rendu de l’eau, qui joue un rôle central dans le film et se comporte comme un personnage à part entière. Les équipes de Disney ont mis au point des technologies de pointe pour simuler avec précision les mouvements, la texture et la transparence de l’océan, capturant son énergie, sa puissance et sa beauté. Les vagues, les reflets de la lumière, et la fluidité des courants sont d’un réalisme frappant, ajoutant à l’immersion et à la poésie de chaque scène en mer. De plus, l’eau interagit avec Vaiana, l’aidant et la protégeant comme une force bienveillante, ce qui renforce son rôle symbolique et spirituel dans l’histoire. Ce travail minutieux donne vie à un océan fascinant et sublime, qui traduit visuellement le lien profond entre l’héroïne et son environnement naturel.
La musique composée par Mark Mancina, Lin-Manuel Miranda et Opetaia Foa'i, est l’une des forces majeures du film, alliant modernité et authenticité culturelle. Ensemble, les trois artistes créent une bande sonore envoûtante qui évoque aussi bien l’aventure que le respect des traditions polynésiennes. Opetaia Foa'i, originaire de Samoa, apporte une dimension authentique avec des chants en tokelauan et des rythmes inspirés de la culture polynésienne, tandis que Lin-Manuel Miranda, connu pour son travail énergique et inventif, insuffle des mélodies entraînantes et des paroles mémorables. Ensemble, ils créent une musique qui transporte le spectateur, enrichissant l’histoire d'une touche émotionnelle et culturelle indélébile.
La musique joue un rôle crucial dans le succès du film, et c’est en grande partie grâce à son impressionnante bande sonore que le film a remporté l'Oscar de la meilleure chanson originale pour How Far I’ll Go de Lin-Manuel Miranda. Cette chanson, à la fois émotive et inspirante, incarne parfaitement le voyage intérieur de Vaiana, sa quête de liberté et son désir de découvrir son propre destin. Mais au-delà de cette victoire musicale, le film a également remporté l’Oscar du Meilleur film d'animation, une reconnaissance méritée pour l'excellence de son animation, de son récit et de son impact culturel.
Moana est bien plus qu’un simple film d’animation, c’est une œuvre qui allie beauté visuelle, richesse culturelle et profondeur émotionnelle. À travers l’histoire de Vaiana, Disney parvient à offrir une aventure audacieuse et inspirante, tout en rendant hommage à la culture polynésienne avec un respect rare pour les traditions et les croyances de cet archipel. La musique exceptionnelle de Lin-Manuel Miranda, Mark Mancina et Opetaia Foa'i, qui fusionne habilement les influences traditionnelles et modernes, contribue à en faire un véritable chef-d'œuvre sonore et visuel. En remportant l'Oscar de la Meilleure chanson originale et celui du Meilleur film d'animation, Moana s’affirme comme une pépite cinématographique, et un appel à l'aventure, à la découverte de soi et au respect de notre planète.