Je l’avoue, j'ai cru un peu paresseusement que Vaiana serait un de ces films de princesses Disney en plus. Sans même bien me poser la question si un tel genre existait encore.
Pourtant, il n’est pas ici question de romance et de princes, d’amours immédiats, beaux et franchement naïfs, face à une belle-mère vindicative. La Reine des neiges a tordu le coup à ces conventions depuis 2013. Notre héroïne principale Vaiana déclare même qu’elle n’est pas une princesse auprès d’un personnage qui la taquine, à moins qu’elle ne s’adresse en fait aux spectateurs.
Car Vaiana est une ode à l’aventure, incarnée par son personnage principal, cette jeune femme qui décide de faire fi des conventions pour sauver son peuple mais qui est aussi en quête de racines et de buts. Le grand géant Disney décide cette fois de jouer avec le cadre polynésien et son exotisme, ses décors naturels mais aussi ses traditions, dans une reformulation qui aura causé quelques inquiétudes aux populations locales avant sa sortie.
Sur une île océanienne, une tribu vit en harmonie avec la nature, dirigée sagement par le chef de l’île, une responsabilité dont sa fille, Vaiana devra s’acquitter. Mais celle-ci s’interroge sur les interdits fixés, qui interdisent à quiconque d’aller au-delà de la barrière de corail. C’est d’autant plus problématique que les ressources de l’île commencent à se gâter et les poissons semblent avoir désertés les eaux environnantes. Sa grand-mère lui révèle alors l’un des secrets de la tribu, leurs racines cachées d’explorateurs et lui apprend que cette crise locale est la conséquence du vol du coeur de Te Fiti, qui aurait donné vie à l’océan, par Maui, demi-dieu métamorphe.
Convaincu qu’elle doit rendre le coeur à cette déesse de la nature, Vaiana décide de quitter l’île pour partir à la recherche de Maui et lui demander de l’aider. L’inexpérimentée mais déterminée Vaiana devra ruser et jouer de ses meilleurs arguments pour convaincre Maui, retrouvé sur une île où il était exilé depuis un millénaire et peu déterminé depuis à prendre de nouveaux risques. Le contraste entre les deux est flagrant, entre la petit taille de Vaiana mais impétieuse et la carrure robuste du demi-dieu, mais tout en nonchalance. Ce dernier est d’abord méfiant, un peu revêche même, mais aussi prétentieux et fantasque. Vaiana n’a connu que le cadre de son île, Maui lui offre de quoi rêver par delà les frontières.
L’un et l’autre vont alors former un duo assez solide, dont leur quête ne sera pas de tout repos. Leur dualité deviendra complice, non sans quelques fragilités pour rythmer la progression. Mais on ne se débarrasse pas de Vaiana aussi facilement. Leur amitié est bien sur attendue, mais le film arrive bien à construire celle-ci, sans à-coups ou d’ellipses trop brutales.
Maui n’étant pas l’antagoniste attendu, tout au pire une andouille capable de mauvaises décisions et n’étant guère rapide à les reconnaître, la menace sur leur chemin aquatique pourrait être Te Kā. Cette impressionnante monstruosité de lave de plusieurs dizaines de mètres de haut est accusée de corrompre l’environnement et de garder le corps de Te Fiti. Mais là encore le métrage fait preuve d’une sympathique absence de manichéisme, pour une belle torsion scénaristique chaleureuse, écologique et même poétique.
D’ici là, le film propose une aventure rythmée et même mouvementée, dont les caprices parfois colériques de la météo ou de la mer ne seront pas les plus dangereux. Leur course poursuite par les Kakamora, pirates en noix de coco, taille riquiqui mais bien hargneux, impressionne par son énergie. Le petit radeau de Vaiana et Maui est pris en chasse par leurs navires, énormes structures entassées qui rappellent celles de Mad Max Fury Road ou Mortal Engines. Un autre séjour à Lalotai, terre des monstres sous l’océan où le duo est à la recherche du hameçon magique de Maui nous offre la connaissance amusée de Tamatoa, gigantesque crabe vénal et fanfaron, qui ne les laissera pas repartir si facilement. Et comment ne pas saluer leurs tentatives presque désespérées pour arriver à passer outre Te Ka et ses boules de feu.
Si ces scènes marquent autant les esprits, c’est qu’elles sont réalisées avec un soin méticuleux. Vaiana est une démonstration de force technique, mais aussi une leçon de réalisation. Il s’agit alors du dernier film du duo Ron Clements et John Musker, les architectes du renouveau de Disney dans les années 1980 et 1990 avec leurs belles réussites telles que La Petite Sirène, Aladdin, Hercule, La Planète au Trésor, un nouvel univers et La Princesse et la grenouille. Des films qui ont démontré un sens de l’aventure certain et des personnages iconiques, suffisamment travaillés.
En dehors de la représentation des humains assez traditionnelle, qui donne parfois l’impression d’avoir des poupées à l’écran, mais néanmoins travaillée, le film offre un luxe de détails qui n’empêche pas une véritable vision esthétique, rappelant la beauté de la nature. Les forêts polynésiennes fourmillent de petites touches de nature, de feuilles, de végétation, dans une profusion végétale pourtant apaisante. La mer peut être calme, elle peut être déchaînée, mais jamais elle n’apparaît comme artificielle. Ces beaux décors de carte postale ont leur fragilité, à l’image de la corruption des lieux par ces cendres effrayantes qui recouvrent tout, ou la beauté destructrice de la lave incarnée ou maniée par Te Kā.
D’autres éléments témoignent d’un souci du travail bien fait, à l’image des constructions imposantes des Kakamora, de la colorimétrie du monde sous l’eau ou même des tatouages de Maui, amusantes constructions qui reprennent les codes des tatouages traditionnels mais qui s’animent sur la peau du demi-peau, offrant même quelques gags amusants. Leur animation est faite à la main, ce qui n’avait pas été fait pour un film Disney depuis Winnie l’ourson en 2011.
L’animation est toujours fluide, malgré la profusion de détails parfois à l’écran. Il serait d’ailleurs presque irrespectueux de lancer le film sur un portable ou même une tablette, même pour occuper de vilains garnements (soyez sympas, offrez leur du Vaiana sur grand écran). Mais ce qui frappe aussi c’est sa mise en scène, qui sait guider le regard ou faire vivre ses personnages, mais aussi nous emporter dans des plans mouvementés mais jamais confus, palpitants et lisibles. Certains films d’action pourraient prendre des notes sur cette belle alchimie.
Tout de même, malgré son aventure qui sent bon l’iode, Vaiana garde quelques facilités toutes disneyiennes, parmi lesquelles un certain nombre de chansons dans sa première partie. Sa chanson phare, Le Bleu lumière, titre résolument positif et émancipateur, n’est pas sans rappeler Libérée, délivrée, avec le même pouvoir d’installation dans un coin de l’oreille. Heureusement, la deuxième partie est plus calme de ce côté, démontrant une certaine bascule dans l’histoire. Maui, en plus de l’accuser d’être une princesse, lui interdit de chanter, merci.
Vaiana est donc accompagnée de cette grande bouche de Maui, mais la première partie fait craindre aussi son accompagnement par deux animaux, présents pour la mignonitude ou l’humour (et vendre des jouets). Heureusement, le petit cochon ne sera pas du voyage, on peut même se demander à quoi cela sert de l’avoir conservé, en dehors de quelques produits dérivés à vendre. Mais Vaiana a à ses côtés pendant la majeure partie de sa quête Hei Hei, autre mascotte animale mais cette fois ci comique. Ce pauvre coq est une créature un peu décérébrée, dont l’inconscience bête et pure est source de nombreux gags. Il est loin, très loin, d’être le plus glorieux des compagnons de héros Disney, mais sa bêtise en fait assurément l’un des plus drôles.
Vaiana : La Légende du bout du monde est donc bien une production Disney ambitieuse mais réussie, qui voit le retour gagnant d’un duo mythique du studio. Il offre aussi une nouvelle héroïne et un nouveau cadre, qui peut maintenant se faire appeler princesse si elle le souhaitait, elle l’aurait bien mérité. Derrière la grande aventure pleine d’action et d’humour, il y a aussi un fonds écologique et même féministe, à la fois clair et simple sans sombrer dans le manichéisme. Je regrette même que le film fasse de Vaiana une sorte d’élue choisie par l’océan, ce qui appauvrit d’un très léger ton sa force de caractère qui était bien suffisante pour faire tenir le métrage sur ses épaules.