Valse avec Bachir par Cthulhu
Pour partir plus tôt de l’armée de réserve israélienne, Ari Folman accepte de se soumettre à une expérience : il doit tout raconter sur la guerre qu’il a vécu à un thérapeute. Il a 40 ans, et s’est la 1ère fois qu’il entend sa propre expérience de l’armée. Il n’y avait jamais pensé, en avait jamais parlé, ni même essayé d’oublié ; il avait juste effacé cette période de son présent. Né alors en lui la volonté de combler les trous au milieu des grandes lignes qui lui restent en mémoire, en partant à la recherche de ses anciens camarades afin qu’ils l’aident, et l’idée de faire un film.
Ce premier documentaire d’animation antimilitariste tend à dénoncer, à critiquer, à rendre compte de l’histoire de cette guerre, mais il questionne également la mémoire et son fonctionnement, et par extension la perception du réel, essence s’il en est du genre documentaire. Enfin et surtout, l’animation permet aussi à Ari Folman d’explorer des champs de création et de mise en scène réservés jusque là à la fiction, donnant de fait une autre dimension à son documentaire.
En 1982, durant l’opération « Paix en Galilée », le jeune Ari Folman, dix-neuf ans, fait son service militaire. Le film débute vingt-quatre ans plus tard, en 2006, il rencontre un ami de cette époque, Boaz, qui lui parle d’un rêve étrange qu’il fait toutes les nuits depuis plus de deux ans, mettant en scène des chiens qu’il a tués durant la guerre. Ari tente alors de se rappeler cette période de sa vie, sans y parvenir, si ce n’est à se remémorer une scène qu’il ne peut interpréter : lui et deux jeunes soldats sortant nus de la mer sous la lumière de fusées éclairantes dans la baie de Beyrouth. Il ne sait pas si cette scène a réellement eu lieu, mais pense tout de même qu’elle soit en lien avec le massacre de Sabra et Chatila, où l’armée israélienne a couvert les milices phalangistes chrétiennes libanaises, sans même savoir s’il était réellement présent près du camp cette nuit là.
Ari Folman décide alors de rencontrer des compagnons de cette période et de les questionner sur la guerre. Petit à petit, Ari retrouve par flash des scènes de cette guerre et de sa participation, jusqu’à la vérité sur son implication dans le massacre, et ce que celui-ci signifie pour lui.
Lorsqu’on évoque Valse avec Bachir en tant que documentaire, une grande partie des gens est surprise. Or, lorsqu’ils y réfléchissent, ils se rendent bien compte qu’il s’agit là d’un documentaire. Qu’est-ce qui les a alors conduit à considérer le film comme un récit fictionnel ? L’animation, de fait, puisque c’est la première fois qu’est réalisé un documentaire d’animation : les images ne sont des prises de vues réelles, mais de pures créations. Avant de rendre compte des conséquences de ce choix, il convient de s’interroger sur ses raisons. Selon Ari Folman, l’animation s’est imposée de fait car l’histoire est surréaliste et absurde comme toutes les guerres. De plus, c’est une histoire de souvenirs, de mémoire, mêlant également hallucinations et rêves.
Mais le point le plus intéressant concernant l’utilisation de l’animation, est bien la liberté qu’elle offre au réalisateur. Liberté d’avoir une esthétique très marquée, d’y former différents styles : un réaliste, présent majoritairement, un onirique, correspondant aux scènes de rêves et d’hallucination, et enfin un « hardcore » selon le terme de Folman lui même, pour la partie finale, avec des monochromes d’orange et de noir. Mais pas seulement, et c’est là tout le génie de Folman. En effet, l’animation permet à la fois de pouvoir intégrer les subjectifs de chaque intervenant, et de disposer d’une grande liberté pour la mise en scène. Ainsi, l’immersion dans les récits des personnages est totale, et Ari Folman peut nous livrer des plans et des scènes d’une grande « cinématographie ».
Je préfère taire ici les conclusions que tire Ari Folman de son expérience, et vous laisse le plaisir de le découvrir vous même, d’être pleinement acteur de cette réflexion sur le documentaire certes, mais avant tout sur la guerre et ses acteurs. Valse avec Bachir est une merveille du cinéma, un grand film sur la guerre, et un témoignage d’une immense valeur, qui éclaire à la perfection la complexité et la gravité d’un tel conflit.