Sorti en 1932, Vampyr est un projet des plus singuliers puisque c'est la première incursion de Carl Theodor Dreyer dans le genre de l'horreur, lui qui avait jusque-là réalisé en majorité des films historiques. Pourtant, il s'agit peut-être de l'une des oeuvres les plus personnelles du réalisateur danois...
De Fanu à Dreyer
Durant toute sa carrière, Dreyer n'a jamais créé les histoires qu'il mettait en scène. Il les empruntait à des romans, des pièces de théâtre (comme ce fut le cas pour Ordet) ou des événements historiques. Le cinéaste disait qu'il préférait prendre des intrigues déjà existantes pour pouvoir uniquement se concentrer sur la réalisation. Vampyr n'échappe pas à la règle vu que le scénario est l'adaptation d'un recueil de récits fantastiques écrits par par Sheridan Le Fanu : Les Créatures du Miroir. Mais si on on examine le livre de plus près, on se rend compte que finalement, Dreyer emprunte très peu à cet ouvrage, mise à part quelques scènes en particulier, comme celle du mort assistant à ses propres obsèques dans la nouvelle La Chambre de l'Auberge du Dragon volant.
Pour le reste, tous les personnages et la structure narrative du film ont été créés par Dreyer lui-même. Pourtant, celui-ci n'a jamais voulu assumer la paternité de l'histoire, l'attribuant totalement à Sheridan le Fanu. Ce comportement est assez étrange et amène à la question de savoir ce qui peut pousser un metteur en scène à relativiser ainsi sa part de création dans son oeuvre.
Dreyer et le Rêve
Maurice Drouzy, biographe du réalisateur, semble avoir trouvé une réponse à ce mystère. Selon lui, Dreyer était quelqu'un d'assez réservé, n'appréciant pas beaucoup de dévoiler son intimité aux gens. Il avait donc peur, en créant ses propres intrigues, que son inconscient soit transcrit sur le grand écran et que les spectateurs puissent avoir accès à son esprit. C'est pour cela qu'il préférait se dissimuler derrière un écrivain ou tout du moins, dans le cas de Vampyr, le prétendre.
D'autant plus que ce film se veut être la représentation d'une plongée dans l'inconscient, comme le décrira lui-même Dreyer des années plus tard:
« Avec Vampyr, je voulais créer sur l'écran un rêve éveillé et montrer que l'effroyable ne se trouve pas dans les choses autour de nous mais dans notre propre subconscient. Si un événement quelconque a provoqué en nous un état de surexcitation il n'y a plus aucune limite aux inventions de notre imagination ni aux interprétations insolites que nous conférons aux choses réelles qui nous entourent. »
En donnant la paternité de l'histoire à Sheridan Le Fanu, Dreyer voulait-il donc éviter que les transpositions cauchemardesques de Vampyr soient considérées comme une invention de son esprit ? La question reste ouverte...
Ce n'est finalement qu'en 1966, soit après plus de 30 ans, que Dreyer avouera au directeur de la cinémathèque danoise qu'il avait élaboré lui-même l'intrigue du film.