---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au vingt-deuxième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --
Mon cœur,
j’ai longé la moitié de la côte sans croiser âme humaine ni canine. Là se dressait une colline que j’ai gravit avec l’énergie du désespoir. La vue d’en haut était sublime. L’océan était sombre et charriait au loin d’immenses vaisseaux de glace. En contrebas, un homme pêchait. Il me regardait. Je n’avais pas senti sa présence, même avec mes sens de loup, tandis que lui semblait m’attendre depuis un bon moment déjà. Il était bien plus fort que moi. Comme je m’approchais de lui prudemment, lui ne cessait de me fixer. Il a beaucoup changé tu sais, j’ai mis du temps à le reconnaître. Une fois arrivée à sa hauteur il m’a simplement souri, et m’a dit « Tu devrais reprendre ta forme humaine maintenant. Nous serions plus à l’aise pour communiquer. ». J’ai prononcé son nom tout en changeant et c’est le seul moment ou il a trahit son émotion, ses yeux se sont mis à briller. Malgré sa demande nous n’avons pas parlé tout de suite. Je me suis assise à coté de lui et nous avons contemplé l’horizon sans rien dire. Au-dessus de nous, je sentais la peine de ses années de solitude qui s’évaporait doucement. Il portait un costume trois pièces gris un peu démodé et qui avait souffert de longues années d’errance. Partout ses vêtements étaient rapiécés, comme la créature de Frankenstein. Sous sa veste il portait une chemise brune, qui, a bien y regarder, avait probablement été cousu de sa main à partir d’une vieille pièce de toile. Les couleurs ne s’harmonisaient pas beaucoup mais il les portaient tout de même avec élégance. Il portait une barbe indisciplinée et ses boucles brunes dansaient aussi anarchiquement sur son front. La dernière fois que je l’avais vu il était impeccablement rasé et ses cheveux longs étaient soigneusement rangés dans une queue basse. La dernière fois que je l’avais vu il fréquentait encore les hommes. Le long de sa gorge une nouvelle cicatrice semblait se prolonger longuement contre son torse, sous sa chemise. Seuls ses yeux n’avaient pas changé : ils étaient toujours de cette fascinante oscillation involontaire entre le bleu froid de son regard humain et le jaune doré de son regard de loup. Comme une constante métamorphose qui m’évoquait la lumière dansante d’un soleil couchant sur une mer à peine agitée. Quand il a finalement relevé un poisson de sa ligne, il s’est mis debout et sa voix s’est brisée sur un « bien, rentrons. » qui trahissait l’immensité de la durée qui s’était écoulée depuis la dernière fois qu’il avait eut à communiquer avec un autre être. Ce n’est que sur le chemin vers sa cabane que nous avons commencé à discuter. Il a toujours été très réticent à parler de lui, mais il m’a posé beaucoup de questions, notamment sur la façon dont je l’avais retrouvé. Ma démarche l’a amusée, et sa comparaison avec la créature de Frankenstein l’a laissé songeur. Alors qu’il faisait dorer le poisson sur le feu de l’âtre de sa petite chaumière, il m’a demandé
« -Si tu ne m’avais pas trouvé ce soir, qu’aurais-tu regardé ?
-Van Helsing, j’ai répondu.
-Regardons-le ensemble. »
J’ai eu beau le prévenir que le film ne présageait rien de bon, que maintenant que je l’avais trouvé je n’avais plus besoin de regarder de ces films, rien n’y a fait, il a insisté.
Je me souviens quand je t’ai retrouvé l’année dernière, et que tu as posé la même question que Wulver, je t’avais donné la même réponse. Tu m’avais adressé ce sourire que je te connais si bien et qui veut toujours dire bien plus que lui-même. Ensuite quand nous avions recommencé à regarder les films qu’il me restaient ensemble, nous avions d’un commun accord tacite sauté Van Helsing et étions passés directement au film suivant. Tu as bien fait de ne rien m’en dire, et tu as bien fais aussi de me laisser attendre un an de plus pour le regarder. Ce film était devenu le running-gag de mes mois-monstre, l’éternel recalé de la filmographie sélective que je m’y constitue. Recalé du mois-vampire, recalé du mois-loup-garou, et presque recalé du mois-Frankenstein, si ça n’avait été sans l’insistance de Wulver. C’est bien finalement que je ne le vois que maintenant, car il met à quasi-égalité les trois monstres auxquels je me suis intéressée. Je vais donc pouvoir le démonter sur les trois points successivement.
Je comprends mieux ton sourire maintenant, car d’interloqués nous sommes passés au stade scandalisés, debout devant l’écran à l’injurier quand nous nous sommes rendu-compte de ce qu’il en était : si le loup-garou est, pour une fois, vraiment pas moche, il est pour le reste écorché vif par une légende totalement réinventé et méprisante. Donc dans le formidable monde de Van Helsing, ça va, on peut tuer un loup-garou sans trop galérer, une bonne petite noyade et hop on en parle plus, par contre le seul et unique moyen de tuer Dracula c’est sous les griffes d’un lycanthrope ? Bravo Hollywood, je crois que c’est la première fois que vous inventez un truc qui vexe les deux espèces à quasi-égalité. Mais bien sur le plus scandaleux tu le sais comme moi, c’est d’écrire la lycanthropie comme une espèce soumise à la seule volonté des vampires, sans aucune prise de conscience de leur propre puissance. Bref, après avoir bondit et insulté du LCD, nous nous sommes finalement bien amusés. Le film est un tel amas de clichés qu’il en devient génialement drôle. Je crois par exemple que cette actrice a eu comme unique indication de jeu « soit sexy ». J’aime beaucoup aussi les fiancées de Dracula qui, en Roumanie, sont habillées comme au moyen-orient. Mais elles ont pas froid comme ça ? Je comprends ton sourire donc, et même si je suis déçue de ne pas avoir partagé ce grand moment de n’importe quoi avec toi, je te remercie tout de même profondément de m’avoir laissé attendre pour pouvoir y poser un regard critique complet. Car finalement si loups-garous comme vampires se font piétiner par le scénario, la créature de Frankenstein quant à elle ressort étrangement magnifiée. Exit l’ogre terrifiant ou le simple d’esprit vaguement attendrissant. Ici, la créature de Frankenstein bascule pour de bon et de toute sa volonté dans le cas des gentils. Il véhicule un véritable enjeux dramatique et émotionnel et ça c’est beau à voir. Et même si le scénario est cousu de fil blanc (on comprend à l’instant même ou il décrit la technologie de la bombe de lumière que ça va servir à tuer les vampires. Eh les gars, Underworld est sorti un an avant hein…), la créature amène encore une fois une teinte plus subtile au happy end qui aurait été tout à fait lambda s’il n’y avait eu cet exil forcé, cette fin douce-amer : il survit, mais personne ne pouvant l’accepter dans son monde, il se retrouve contraint à l’exil.
Wulver s’est comme moi beaucoup amusé de ce film, mais cette fin l’a plongé dans une profonde mélancolie. Quand au bout d’un moment il a relevé la tête vers moi, il m’a adressé un tendre sourire et m’a simplement dit « Je comprends mieux maintenant. ». Puis après un temps sans avoir cessé de me sourire « Comment va ce voyou de Lycaon ? ». S’il ne t’a jamais rencontré, je lui ai bien sur beaucoup parlé de toi. Et là ou tu le vois comme un vieux papy gâteux, lui te vois comme un éternel adolescent rebelle. Je suis brutalement redescendue sur terre à sa question. Depuis nos retrouvailles je m’étais efforcée de ne pas penser à toi, de chasser toutes mes peurs et de n’éprouver que du bonheur à revoir mon ami. J’ai eu très froid tout a coup et je n’ai pas su murmurer autre chose que « il est peut-être mort. ». Wulver n’est pas très doué avec les interactions sociales. Il a maladroitement posé sa main sur mon épaule et n’a pas su quoi dire. Sa bouche s’est ouverte et refermée plusieurs fois, j’en aurais ri si je n’avais été dans un tel état d’angoisse de toi. Je lui ai tout raconté. Nos meutes, notre correspondance, les tensions avec les meutes rivales, la guerre qui avait éclaté chez toi et dont je n’avais pour l’instant aucune nouvelles. Il m’a presque mise à la porte. Il n’arrêtait pas de répéter que je devais te rejoindre tout de suite, que c’était plus important que lui, que je n’aurais pas du faire tout ça pour le retrouver dans cette situation là. Je me raccrochais désespérément à sa main que j’avais saisi, aux paisibles vagues qui se dessinaient dans son regard pour tenter de retrouver un peu de calme alors que ses paroles ne faisaient malgré lui que me faire souffrir d’avantage. J’ai tout de même obtenu de lui le droit de t’écrire cette lettre dans sa chaumière. C’est sur un vrai support de bois et à la lumière d’une bougie que je t’écris cette lettre ce soir, luxe que je n’avais plus eu depuis plusieurs jours. Quand j’en poserai le point j’enlacerai Wulver et je le quitterai de nouveau, courant te rejoindre. Mort ou vif je comprends maintenant que je ne peux qu’être près de toi.
Passionnément,
H.