Il y a clairement dans ce "Velvet Buzzsaw" deux projets qui ne cohabitent pas bien, et dont le décalage empêche finalement le film de fonctionner. D'abord, il y a cette critique délicieusement méchante, et que l'on soupçonne d'être avisée, même quand on ne le fréquente pas soi-même, du milieu de l'Art : elle ouvre le film de manière particulièrement brillante, et la multiplication de personnages représentant toutes les facettes de la profession, du critique tout-puissant interprété par un Jake Gyllenhaal comme souvent extraordinaire, à la petite assistante condamnée aux tâches les plus ingrates, en passant par les artistes en plein marasme créatif, permet à Dan Gilroy de répéter le coup de force de son superbe "Night Crawler", auquel ce nouveau projet fait écho. La première partie de "Velvet Buzzsaw" nous emballe, avec ce mélange d'humour noir bien dosé et d'élégance stylistique : Gilroy sait mettre en scène, il sait filmer, il sait pousser ses acteurs à donner le meilleur d'eux-mêmes dans la déraison…
C'est quand le "second film" débute que les choses se gâtent, car cette parabole fantastique sur une œuvre maléfique, engendrée par un cerveau malade et une psyché torturée, et qui contamine progressivement la réalité, ressemble beaucoup trop à une nouvelle de Stephen King qu'il aurait mise au rebut parce qu'il l'aurait jugée insatisfaisante. Aucune logique interne, alors que l'on sait que pour que le fantastique fonctionne, il lui faut une certaine la cohérence afin que le spectateur accepte le pacte de croyance qui lui est proposé, et surtout aucune conviction de la part de Gilroy (qui n'aime clairement pas le "genre"...) dans la manière dont il nous raconte, dont il filme même cette accumulation de morts violentes "artistiques"... Le spectateur décroche rapidement, et en est réduit à apprécier de loin l'intelligence de certaines bonnes idées, comme celle - pas révolutionnaire mais amusante - de l'acceptation par le public de la galerie d'un cadavre comme faisant partie d'une installation, ou celle, esthétiquement intéressante, des couleurs dévorant leur victime. C'est évidemment frustrant quand on espérait de Gilroy qu'il renouvelle l'expérience émotionnellement extrême de "Night Crawler"...
"Velvet Buzzsaw" se termine néanmoins sur une jolie idée, qui justifie dans la dernière ligne droite son titre, avant une scène de générique de fin qui explicite sans doute un peu trop clairement le propos du film : pour survivre, pour se régénérer, l'Art doit se débarrasser de tout son folklore, de tous ses parasites, de l'escroquerie de l'argent, pour revenir au geste pur et instinctif, à des oeuvres éphémères comme des traits sur le sable que la mer effacera, sans valeur marchande. L'Art, c'est bien sûr la Vie, pourvu qu'on ait auparavant fait le vide de toute vanité. Ce n'est peut-être pas d'une profondeur terrassante, ce n'est sans doute pas dénué de naïveté, mais c'est toutefois un message positif et rassérénant vis à vis de la situation actuelle de l'Art Contemporain. C'est même, soyons un peu provocateurs, une conclusion plus fertile que celle de "Night Crawler", qui s'enfonçait dans la noirceur et le nihilisme. C'est en tout cas, malgré l'échec de ce troisième film, une bonne raison de continuer à attendre de belles choses de Dan Gilroy.
[Critique écrite en 2019]
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