A un âge où l'on écoute Henri Dès ou Chantal Goya, moi j'étais bercé par le son de Iron Maiden et Alice Cooper. Il m'arrivait d'honorer de ma minuscule présence la boîte de nuit du patelin, regardant d'un oeil amusé les hardos se dandinant et faisant valser leurs longs cheveux au son d'une musique me parcourant les os. Sirotant mon Nesquik, je contemplais, fasciné, ces demi-dieux que mes frères et soeurs plus âgés vénéraient, ces êtres étranges et excentriques venus d'ailleurs en me disant que moi aussi, un jour, je serais une rockstar. L'adolescence me fit oublier tout ça avant de découvrir, vers seize ans, "Velvet Goldmine", ode au glam rock qui me plongea à nouveau dans cette même fascination, cette même attirance pour un univers coloré et tonitruant, ambigu, où il est facile de se perdre corps et âme.
Comme il le fera plus tard avec son biopic fantasque "I'm not there", Todd Haynes ausculte le rock, ses codes, ses pièges, ses répercussions sur ceux qui le font et ceux qui l'écoutent, en donne sa vision toute personnelle, s'inspire très librement de certains de ses plus illustres représentants comme Bowie, Iggy Pop, Lou Reed ou encore Bolan pour en livrer SA version à lui, SA reconstitution d'une époque charnière désormais révolue.
A l'aide d'une direction artistique magnifique, il reconstitue sous nos yeux plein d'étoiles un monde fait de paillettes, de cordes stridentes, de couleurs criardes, un univers aussi fantasmagorique que ses personnages de chair et de son, en distille l'essence même, le rêve et la magie à l'état pure qui l'anime tout en mettant à jour ses désillusions, la superficialité qui est la sienne, celle d'un entre deux mondes aux multiples facettes dont les atours lumineux ne sauraient cacher intégralement l'odeur de tristesse, de solitude et de mort qui émane de lui.
En mettant en parallèle l'enquête d'un journaliste et son propre passé, c'est toute une génération que le cinéaste fait revivre, toute une époque de répression sociale et politique, la quête identitaire et sexuelle de son protagoniste étant celle de tout un chacun, instincts et désirs réfrénés par la bienséance que seule la musique, dans son envie insatiable de liberté, saura décrire, clamant enfin à tous ces ados paumés qu'ils ne seront désormais plus jamais seuls.
Champ d'amour absolu à la musique et à son microcosme paradoxal, "Velvet Goldmine" est la vision toute particulière d'un auteur passionnant filmant ses rockstars comme des légendes de la mythologie grec et enrobant son récit dans un univers tout droit hérité du conte, aidé dans sa tâche par une bande son électrisante et par un casting talentueux comprenant notamment un Christian Bale encore inconnu et qui n'allait pas tarder à faire parler de lui grâce à son interprétation démente de Patrick Bateman.