Vendredi 13 est une saga culte du slasher. Le premier film, sort en 1980 mais c’est dans le deuxième que l’on découvre Jason Voorhees, l’iconique tueur au masque de hockey. Ce personnage connaîtra une vraie évolution dans le sixième épisode. Les scénaristes renoncent au semblant de vraisemblance des précédents films et créent un Jason immortel. Par le passé, un bon coup de shotgun dans la gueule pouvait le ralentir. Désormais, c’est une machine à tuer, une vraie. Avec peau en kevlar et os d’adamantium.

L’Ultime Retour est le huitième chapitre de la série, qui connaîtra encore deux suites directes, ainsi qu’un spin-off et un remake. Il est également le dernier à être distribué par la Paramount.

Cet épisode des aventures de Jason, parfois considéré comme le pire de la série (sérieux, regardez le 5, après vous vous sentirez vraiment sales), est loin d’être honteux. Il est d’autant plus intéressant, qu’il est le reflet d’une époque et du tournant que celle-ci sera pour les slashers.

L’histoire débute, comme souvent, à Crystal Lake. Jason s’empare d’un bateau, après en avoir tué les occupants. Le lendemain matin, il se retrouve devant un quai, où le paquebot joliment nommé S.S. Lazarus, s’apprête à voguer vers New York. Bien sûr,il est rempli de jeunes bacheliers prêts à s’adonner aux joies interdites du sexe prémarital. Et de la drogue, évidemment. Notre boucher des campings, ne sera pas obligé de se bourrer la gueule au bar de la piscine pour passer le temps. Ouf.

Soyons honnêtes, le scénario est écrit sur une feuille de bonsaï, les personnages sont stéréotypés et certains comédiens jouent comme des briques (mention spéciale au fils du capitaine). On ne va pas feindre la surprise. Si on en est là, c’est qu’on a vu les autres épisodes. On est d’accord pour dire que l’acting approximatif participe au charme de la saga. Et du slasher en général.

Là où le film est intéressant, c’est dans sa mise en scène. Un découpage de prime abord très classique, mais qui permet en fait une double lecture, fait assez rare dans un slasher (on reparlera un jour des différentes théories tournant autour de Sleepaway Camp).

Il est en effet divisible en deux parties : Crystal Lake et New York. Le passage du bateau n’étant qu’une (longue) transition. Ces deux parties représentent respectivement « le film » et la « réalité ». La métaphore du bateau comme passage entre les deux mondes est très claire.

La scène d’ouverture montre parfaitement cette dualité entre les deux parties. Tout n’est que mythologie, celle de Jason. Celle d’un lieu où un tueur en série, découpe des jeunes filles dénudées avant de mourir et de ressusciter.

Pour nous, vieux briscards du slasher, qui avons arpenté les rues de Haddonfield et fait cramer des merguez à Crystal Lake, tout cela est crédible. On sait ce qu’on regarde. Nos préjugés rationnels sont mis de coté pour épouser la diégèse d’un film dont nous comprenons les codes.

Ces codes, popularisés par Massacre à la tronçonneuse et exacerbés par la saga Vendredi 13 sont utilisés jusqu'au ridicule dans la première séquence. En une petite dizaine de minutes, on ingurgite de force un concentré des sept précédents films. Les clichés de tout un genre défilent à la vitesse de la lumière.

Dans la même scène, on trouve : une paire de seins, un couple qui fait l’amour, un petit jeune qui décide d’enquêter sur un bruit étrange et ce même jeune qui revient déguisé en tueur afin d’effrayer sa belle. Ensuite, ils recouchent ensemble. Et Jason ressuscite et les tue. Rien de bien nouveau là dedans.

Comme pour mieux les évacuer, le réalisateur décide de tout balancer dès la première séquence du film. C’est là qu’on prend vraiment conscience de la portée du procédé, conscient ou non de l’auteur. La scène d’ouverture est non seulement une mise en abyme de la saga mais du genre tout entier.

Ce procédé est souligné par le dernier plan de la scène. Le panneau du Camping Crystal Lake est rouillé et des lettres se sont écroulées. La localité emblématique du film est désertée, comme les salles de cinéma le seront bientôt si on continue à gaver le public avec la même recette.

Le message est clair : " Regarde ce que tu bouffes depuis quinze ans. Allez mange, voilà du rab." Le spectateur de 1989 a la nausée.

Après cette scène, on est catapulté à bord du S.S.Lazarus. Le décor change. Les films précédents se déroulaient à Crystal Lake, ou dans ses environs très proches. Désormais Jason est en terrain inconnu.

On ne va pas s’attarder sur ce passage. Le but de cet article n’est pas de résumer le film. On peut dire qu’il y a des meurtres et de la musique d’époque (de merde donc).

C’est après que ça devient intéressant. Soulignons la brume qui entoure le canot des rescapés, ils quittent un monde pour un autre. On ne va pas faire le coup de la métaphore du Styx mais on y pense très fort. Les personnages traversent le celluloïd et ses tueurs fantasmés et entrent dans la réalité, peuplé de monstres bien réels.

Arrivés à New York, les survivants sont suivis de près par Jason. Il nage désormais très bien. A partir cet instant, la fiction va s’insinuer dans la réalité.

La première incursion de la réalité survient quand la jeune héroïne et les survivants se font braquer par deux jeunes armés de pistolets. Replaçons un peu les choses dans le contexte, nous sommes en 1989. Le monde est alors hanté par le spectre du sida, tueur bien plus meurtrier que notre brave Jason.

Lors de notre séjour de sept films à Crystal Lake, nous étions protégés de la criminalité traditionnelle mais elle nous frappe de plein fouet dès que l’on pose les pieds à New York. L’héroïne, après avoir été braquée et droguée, est en passe de se faire violer. La première chose à laquelle on pense est bien sur le Sida. Le combo seringue plus viol est explicite.

Mais qui vient la sauver avant que l’irréparable soit commis ? Jason, bien-sur. Si on a vu les précédents films, on sera surpris de l’altruisme du tueur. Il apparaît comme un sauveur dans cette scène.

Le slasher moderne, est né en réaction à son époque, l’envie de se faire peur avec des tueurs en série masqués, est née devant les images du Vietnam et des vrais tueurs en séries qui commençaient à émerger en Amérique. Le parallèle est clair.

La jeune fille, agressée par la réalité, est sauvée par le cinéma.

Juste avant cette scène, une saynète humoristique souligne cette opposition entre film et monde réel. Jason, sorti des eaux, se retrouve devant une affiche de hockey figurant son masque. C’est marrant, Jason ne comprend pas ce qui lui arrive et on se plait à imaginer ce qui lui passe par la tête. "Huh? Jason? huh…Jason?!" Bref…

Le spectateur comprend. Dans le monde réel, les seules personnes qui portent des masques de hockey, sont les joueurs de hockey. Les tueurs déguisés n’existent que dans les films. Jason prend donc lui aussi une petite claque de la part de la réalité. Ici, il n’est personne, juste un mec au style excentrique. La belle affaire.

Une dernière scène enfonce le clou. D’abord, souvenons-nous que Rudolph Giulliani n’a pas encore « nettoyé » la ville. Time Square n’est pas la carte postale que nous connaissons tous mais endroit plutôt malfamé.
Jason sort de la bouche de métro et se retrouve en plein milieu de cette place mythique. Personne ne le remarque. Normal, deux types avec des gueules de mangeurs de sels de bain l’ont précédé. Au milieu de la petite commune de Crystal Lake, sa silhouette aurait fait frémir n’importe qui. Dans notre monde, on ne le calcule pas.

Pire, quatre lascars des eighties, en total look Mtv, osent le menacer. Au lieu de les lacérer à l’aide de sa fidèle machette, Jason ôte son masque et montre sa jolie trogne aux jeunes délinquants. Sa figure ridiculement tuméfiée fait son effet. Sortir son arme, même face à leur schlass digne de West Side Story, ne les aurait pas fait fuir. Son visage tout droit sorti d’un film d’horreur, donne des ailes à leurs Air Max.

Cette double lecture change l’intérêt qu’on peut témoigner à ce film. L’Ultime Retour marque un tournant pour la série. Hélas, celle-ci sombrera dans le n’importe quoi le plus total dans l’épisode suivant, produit par New Line Cinema. Le distributeur flairant le bon coup, en profitera pour amorcer dès 1993 (Jason va en Enfer) la rencontre entre Jason et Freddy. Le tueur d’enfants à la vilaine acné appartenant à la même écurie.

Le huitième chapitre est le dernier film de la franchise à faire preuve d’inventivité, même si beaucoup s’empresseront de dire que délocaliser Jason est une idée opportuniste et débile. On ne peut pas leur donner entièrement tort mais on relativise quand on sait où il sera envoyé dans Jason X. Qui n’est pas si mauvais d’ailleurs.

Enfin, c’est un précurseur, un film qui a ouvert la voie, sous couvert d’un slasher décérébré, à tout un pan de cinéma qui régnera en maître pendant des années. Un cinéma conscient des codes dans lesquels il évolue et de notre réalité. Non content d’avoir quasiment crée le slasher, Jason a inventé ce que le public américain qualifiera de méta-film. Un genre bientôt popularisé par Wes Craven, qui brisera de façon bien plus retentissante le quatrième mur avec Wes Craven’s New Nightmare et surtout Scream.

Jason VIII, oeuvre faussement conne et vraiment subtile? La question est posée.

n.b.: A noter qu’il y a plusieurs autres raisons d’aimer cet épisode, citons en vrac : des meurtres bien innovants, une mort finale en forme (de l’aveu même du réalisateur) d’hommage à 2001 : Odyssée de l’Espace, un fondu enchaîné qui n’a pas à rougir devant Mulholland Drive. Et surtout, un dernier plan tellement cheesy.
cruzsandal
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le 8 févr. 2014

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