Eprouvant.

Alors oui, effectivement, Claire Denis est une cinéaste qui propose quelque chose d'assez original, que je n'avais probablement jamais vu filmé comme tel. A savoir quasi exclusivement des plans très ressérés sur une partie d'un objet ou d'un personnage, une caméra qui bouge beaucoup alors que l'objet filmé ne bouge, quant à lui, pratiquement pas, des couleurs sombres au point de ne plus distinguer grand chose, voire rien. C'est vrai.

Et ça a le mérite d'exister, mais bordel qu'est ce que c'est dur à regarder. Ca fait mal à la tête, c'est frustrant au début, puis ça finit par agacer au point que j'ai passé les dix dernières minutes en accélérées parce que j'en pouvais plus de voir les mêmes plans se rejouer alors que je ne ressentais absolument pas les émotions que le film voulait susciter par ses deux protagonistes.

Toute la première partie dans les embouteillages m'a effectivement frustré et agacé un peu, mais j'ai fini par me dire c'était bien joué, car c'est ce que l'on ressent lorsqu'on est coincé au milieu de la route. On voudrait sortir du dédale de bagnoles, appuyer sur la pédale et rouler vite pour libérer la frustration accumulée. D'ailleurs la séquence est conclue de cette manière avec Lindon qui prend le volant et roule n'importe comment, la caméra qui défile, sur la route, sur les façades, les visages des deux personnages assis dans la voiture, accompagnée par une musique classique typique des scènes où le stress doit monter chez le spectateur. Ici, on ne ressent pas vraiment de stress mais on souffle, on sent qu'on échappe à quelque chose d'épuisant.
Non vraiment, la façon de filmer se justifie assez bien durant toute la première partie, même si on peut trouver ça gonflant.

Le problème c'est que la seconde partie est filmée exactement de la même façon alors que la situation est bien différente. C'est toujours filmé de très (trop) près, c'est asphyxiant, étouffant, et si ça avait marché pour les voitures, là c'est juste insupportable. Un ou deux plans pourquoi pas, mais la sensation de claustrophobie dure pendant plus de trente minutes alors que les enjeux ne sont plus du tout les mêmes. Ils sont à l'hotel, au bar, au resto, ce sont des moments calmes, ils apprennent à se connaitre, ils sont intrigués l'un par l'autre. Mais le spectateur ne ressent pas ce qui se joue, il est attaché à l'image comme un prisonnier et espère que le plan suivant sera un peu plus large et plus lumineux pour pouvoir souffler. D'autant qu'il n'y a quasiment pas de dialogue, il est donc impossible de savoir quel est le caractère des personnages, ce qu'ils incarnent, car ils n'incarnent malheureusement pas grand chose si ce n'est la passivité. On ne ressent absolument pas la tension qu'il y a entre eux, pourtant le duo d'acteurs joue bien sa partition.

C'est dommage car à côté de ça, il y a de belles idées de mise en scène. Dans le rade de nuit, lorsque Lindon demande 10F, on comprend, en même temps que Lemercier, grâce à deux images fixes et sans dialogue, qu'il a acheté des préservatifs. Ca c'est très fort et c'est peut etre la meilleure trouvaille du film.
Il y a aussi quelques beaux plans, lorsqu'ils sont à l'hotel et qu'ils se découvrent l'un l'autre, qui auraient pû être agréables à regarder, s'il n'y avait pas, dans ces mêmes scènes, tous les problèmes soulevés précédemment.
Une autre idée intéressante apparait à une ou deux reprises, lorsqu'on réalise que ce que l'on vient de voir n'a pas été vécu mais imaginé par un protagoniste, sans savoir lequel a fantasmé. Cela suscite une légère interrogation, on entre un peu dans l'univers mental des personnages. Malheureusement c'est trop peu exploité et on ne sait pas bien ce que ça vient faire là, au milieu du reste.

Une vraie proposition mais qui sert assez mal son propos à mon sens. Sur un court-métrage de 20-30 minutes, ça aurait été intéressant, là ça en devient juste éreintant.