Le dispositif de la réalisatrice est simple : à l’image, la plage de Venice Beach. Au son, des témoignages de sans-abris qui racontent leur histoire et leur rapport à la ville. Le décor est celui d’une carte postale : Venice Beach est une station balnéaire paradisiaque avec une histoire particulière. Construite par un milliardaire pour imiter Venise, le bord de la promenade a été consacré aux artistes de rue. Peu à peu, les inégalités se sont creusées ; Snapchat s’y est installée et étale son monopole en rachetant les bails de commerçants présents depuis des décennies, augmentant considérablement les loyers. Les sans-abris, quant à eux, s'agglutinent au bord de la promenade.
A la façon des films des frères Lumière, cette “ville des anges perdus” est filmée uniquement en plan fixe, accentuant cette impression de carte postale figée. De plus, le film se déroule entièrement à l’aube, à l’heure où quelques sans-abris titubants croisent des joggeurs matinaux. Cet immobilisme donne une véritable force au film, complété par les récits souvent sombres des intervenants : certains sont des vétérans, l’un d’entre eux est un homme transgenre à bout qui se fait rejeter par la communauté, les conflits avec la police se font sentir en hors-champ… On découvre également le système qui les oppresse. Les sans-abris sont effectivement tolérés sur un bord de la promenade, mais chaque jour, le côté change. Ainsi, les autorités s'assurent qu'ils n'aient effectivement pas de domicile fixe, en plus de les pousser à bout pour les faire partir. Le paradis n'est pas pour tout le monde.
Marion Naccache lève le voile sur une (contre-)culture qui nous est inconnue, à la fois underground et sous-prolétaire, dans laquelle se côtoient les sans-abris et les artistes de rue libertaires. On observe un certain rejet du monde politique, qu’il soit Démocrate ou Républicain, incarné par Obama ou Trump. Ce dernier est d'ailleurs à l'honneur d'une musique dont le refrain répète “Fuck Donald Trump”. On y parle également de religion, avec un intervenant qui se proclame sataniste car il juge que la Bible a menti sur l'apparition de la lumière. Les interventions les plus séduisantes sont sans doute celles qui évoquent les nombreuses légendes urbaines associées à la ville, tournant autour d’Al Capone, d’un cimetière indien, ou encore d’une fontaine qui nous lie éternellement à la ville si on a la bêtise de boire son eau. Tout transpire à la fois un amour et un rejet de cette ville, qui est également source de miracle pour l'un d'entre eux, qui parle d'un endroit précis où il trouve systématiquement une pièce à chaque fois qu'il y retourne.
Le dispositif trouve parfois quelques moments de grâce, comme par exemple lorsqu’un sans-abris parle de liberté tandis que la police installe un scotch d’enquête. Néanmoins, le film se trouve dans une impasse. Étant donné qu'on ne voit que très peu les intervenants, leurs récits s’annulent bien souvent les uns les autres. Si ce choix accentue l’immobilisme du film et son ton aigre-doux, Marion Naccache peine à tenir la longueur tant son concept formel peine à nous accrocher. Venice Beach CA. reste une expérience sensorielle hors du temps intéressante et paradoxale quant aux émotions qu’elle transmet, qui aurait sans doute gagné à être un moyen-métrage.
Site d'origine : Ciné-vrai