Kechiche ou la passivité non passive.
Abdellatif Kechiche a un don. Non pas positif. Non pas celui d'être un grand cinéaste, bon, tout simplement, serait un terme plus judicieux. Passons. Son plus grand pouvoir est plutôt celui de dégoter certaines histoires. Belles, d'une très grande simplicité. Et de transformer ses protagonistes principaux en mutiques passifs. Crimo de L'Esquive dresse un personnage flottant, un spectre en somme. Deux mots tout au plus. Adèle est une capricieuse incertaine, un flot de divers liquides, sans réelle compréhension ou décision. Dans Vénus Noire, le questionnement est également tout entier. Quel but poursuit Saartjite ? A quel point est-elle dupe ? Pourquoi ? Pour qui ? Quelle est son degré de compréhension ? Cette descente aux enfers n'est pas, pour Kechiche, la dénonciation d'une société et d'une époque raciste persuadé de sa supériorité. Ou même l'épanchement pathétique de scientifiques excités à l'idée de prouver une théorie abérrante. Le tout ressemblerait plutôt à une autodestruction silencieuse et fumeuse d'un être paradoxal. Littéralement imposant, magnifiquement esthétique mais sans arrêt en retrait. Cette passivité face à la noirceur, ce silence mortuaire, s'étale, trois longues heures durant. Dotant le spectateur d'une souffrance qui ne lui apprendra rien d'autre que cette sensation qu'il connaît très certainement déjà. Ce n'est pas de l'ennui, c'est un profond agacement. Une envie de secouer de toute son âme, ces personnages, qui, face à une situation incroyable, une dureté passionnelle de la vie, restent de marbre ou tout simplement silencieux. Ce vide aurait pu être magnifique si ces êtres gardaient une puissante maîtrise sur ces situations, un calme océanique. Mais non. Le chaos règne. Dommage.