[Mouchoir #13]
Dès le noir du générique une voix rauque résonne, tout de suite reconnaissable :
For my next experiment, ladies and gentlemen, I would appreciate the loan of any small personal object from your pocket. A key, a box of matches, a coin. Ah, a key it is."
Fondu au noir sur un train. Cut sur du noir, et non c'est en fait une cape. Quelques plans de plus et voilà que la cape n'est autre que Welles habillé en magicien, imposante carrure, tenant une clef, la transformant en pièce. La clef se trouve dans la poche de l'enfant qui au départ l'avait dans sa main. En fait non, elle est dans celle de Welles. Elle vient de disparaître. La pièce est dans la poche de l'enfant qui la donne au magicien, qui la transforme à nouveau en clef. Et dans la bouche de l'enfant plusieurs pièces que Welles ramasse, puis fait s'évaporer d'un mouvement de main.
Cette introduction, c'est un tour de passe-passe, de charlatan ou de magicien selon notre degré de croyance, reposant à la fois sur le doigté de Welles, mais aussi sur les ellipses de montage. La magie est un art d'acteurice, presque dans le sens burlesque, à la Keaton, dans la méthode d’exécution, dans la dextérité et la vitesse hallucinantes qui permettent la confusion, la possibilité de l'impossible. On n'a pas bien vu, mal vu. C'est allé trop vite pour nous. C'est ainsi que les magicien·ne·s arrivent à tromper, les acteurices à se jouer de nous, les faussaires à fausser.
Et voilà la clef du montage exposée. La suite de Vérités et Mensonges ne fera que poursuivre ce montage kaléidoscopique, ces plans trop courts pour qu'on puisse pleinement les analyser, mais juste assez long pour qu'on puisse les lire en se faisant berner dans leur enchaînement, prendre au piège. C'est une toile dans laquelle Welles nous fait tomber, après avoir méticuleusement tissé tous les fils pour nous embarquer là où il le souhaite, dans ce questionnement sur l'auteur par celui même qui incarna l'auteur au cinéma, prenant ainsi en otage le public en le fascinant ludiquement, comme un enfant, avec magie. Une avalanche de coïncidences (comme il les appelle) qui n'en sont pas. Un travail d'orfèvre qui, à chacune de ses pauses prend un ton mélancolique, laissant Welles penser au temps où il était maître d'Hollywood, un temps perdu que Vérités et Mensonges était sensé retrouver, renouer. Échec de plus. Comme un chant du cygne à la magie et l'art après une opération de plus d'1h30 à cœur ouvert.
Cartes sur table, Welles semble dès lors ici indéniablement le conteur d'un certain cinéma qui brandit de manière ostentatoire toutes ses possibilités poétiques, au même titre qu'un Godard qui reprendra le style de film-essai inventé ici, et qu'il perfectionnera jusqu'à aboutir à ses Histoire(s).