Ce documentaire est destiné à mettre en valeur l’exposition organisée du 10 février au 4 juin 2023 par le Rijksmuseum d’Amsterdam, la plus complète jamais proposée de l’œuvre du peintre néerlandais Johannes Vermeer (1632-1675)
D’une durée d’1h30, ce film permet de profiter d’une exposition prestigieuse, avec un montage permettant de découvrir les œuvres (a priori, toutes celles rassemblées pour l’occasion sont montrées, soit 28 des 37 tableaux connus du maître de Delft), dans d’excellentes conditions (cadrages, luminosité, taille de l’écran), sans la foule qui va s’agglutiner devant les peintures (dont une bonne partie relativement petites), et avec des commentaires de spécialistes qui ont travaillé dessus, soit pour leur restauration, soit pour mettre en place l’exposition. Petit bémol, le documentaire ne dit pas quelles œuvres font encore l’objet de discussions entre experts (attribution à Vermeer incertaine). Par contre, on apprend qu’une poignée d’entre elles sont datées de la main du peintre, ce qui les place en position de repères chronologiques pour observer son évolution, lui qui a probablement passé toute sa vie à Delft. Le documentaire n’insiste pas sur ses origines (naissance dans un milieu réformé protestant, père tisserand et tapissier, puis aubergiste et marchand d’art), mais les spécialistes qui s’expriment ici avancent qu’il aurait étudié chez les jésuites, non loin de chez lui, où il aurait appris le dessin. Il épouse Catharina Bolnes, catholique issue d’une famille aisée et le couple s’installe dans l’auberge de famille, avant d’emménager dans la maison achetée par la mère de Catharina. Père d’une famille nombreuse, le peintre représente essentiellement des femmes sur ses œuvres, et non des enfants (sauf ceux de *La ruelle*), mettant en évidence un gouffre entre la sérénité que dégagent ses œuvres et l’agitation qu’on imagine dans la maison. Sa vie à Delft était marquée par la prospérité hollandaise de l’époque, une prospérité déjà malmenée au moment de sa mort, ce qui peut expliquer qu’il ne nous reste pas de témoignage concret sur sa vie : aucun dessin ni aucune trace de commande par exemple, alors qu’on imagine que certaines œuvres peuvent en avoir fait l’objet. Ce que le documentaire omet également (pour se concentrer sur les œuvres), c’est que Vermeer a risqué de tomber dans l’oubli, avant de voir sa popularité reprendre au milieu du XIXè.
Une exposition qui répond à des questions
Ce documentaire nous fait comprendre comment l’exposition est conçue, de manière on ne peut plus logique, avec une première salle (vaste) pour présenter les œuvres qui marquent les débuts du peintre : des sujets religieux ou encore issus de la mythologie, comme cela se faisait beaucoup à l’époque (influence de la peinture italienne). Ces œuvres de jeunesse n’ont de véritable intérêt que pour observer l’évolution de Vermeer en tant que peintre. L’artiste acquiert une toute autre dimension quand il commence à s’intéresser à ce qu’il observe autour de lui, à savoir sa ville de Delft. A ce titre, l’exposition propose les deux œuvres qui présentent des extérieurs : La ruelle et Vue de Delft et les intervenants les analysent de manière très fine et pertinente (avec en conclusion, un beau fondu-enchainé, entre la vue telle qu’elle se présente aujourd’hui et la peinture). On bénéficie ici des dernières avancées techniques qui permettent l’analyse des couches inférieures de peinture. Ainsi, pour La ruelle on constate que certains détails sont venus enrichir progressivement la composition, ce qui permet d’imaginer le peintre au travail et dans sa réflexion. Une peinture qui constitue un témoignage précieux sur la vie et l’atmosphère à l’époque dans cette ville de moyenne importance. Vue de Delft en donne un autre aperçu tout aussi intéressant, en proposant une vue d’ensemble de la ville. Là, Vermeer est à son apogée, avec une œuvre de taille correcte, qui donne beaucoup à voir et amène de nombreuses questions. Pourquoi une vue si éloignée ? Pourquoi si peu de personnages visibles ? Pourquoi le ciel (chargé) prend-il tant de place ? Comment le peintre donne-t-il ces impressions de luminosité ? Autant de questions auxquelles les commentaires apportent des réponses convaincantes.
Vermeer et sa technique
On a également droit à de longues réflexions intéressantes sur toutes les compositions en intérieurs (avec de judicieuses associations entre œuvres qui se font écho). Des classiques concernent les tenues (dont la veste jaune bordée d’hermine qu’on retrouve sur plusieurs œuvres), l’éclairage provenant généralement d’une fenêtre sur la gauche, les poses qui donnent l’impression qu’on pénètre dans l’intimité des personnages. Cela culmine avec l’examen de La Jeune Fille à la perle tableau de dimensions modestes et simple portrait sans le moindre décor en arrière-plan. Par sa technique parfaite (coups de pinceau parfaitement invisibles), le peintre magnifie ce jeune visage à la peau fraiche, mis en valeur par un turban (magnifique association de couleurs), qui sonne comme un déguisement complété par cette perle à l’oreille qui brille autant que les lèvres humides et entrouvertes. Le regard confiant tourné vers nous pourrait indiquer que le modèle est une fille du peintre. Une interprétation parmi d’autres, puisque la peinture y invite (rappelons qu’il a inspiré un roman à Tracy Chevalier et que celui-ci a bénéficié d’une adaptation cinématographique qui méritent largement la découverte). Comme pour toutes les peintures ici présentées, La Jeune Fille à la perle est montrée d’abord dans son intégralité, puis en plan rapproché pour une étude plus détaillée.
Suite et fin de l’exposition
Elle s’intéresse à la dernière période du peintre, en particulier L’Allégorie de la foi, très intéressant pour son symbolisme, mais moins marquant que les scènes de vie de tous les jours dans des intérieurs. Le documentaire n’insiste pas trop sur cet intérieur qui n’est probablement rien d‘autre que la demeure du peintre. Il insiste plutôt sur les intentions de l’artiste, qui peuvent encore une fois faire l’objet de pas mal d’interprétations.
Pour conclure
Le plus intéressant dans la réflexion générale du documentaire tient en deux points à mon avis : la notion du temps (comme figé sur une impression fugace mais durable, exact pendant de la photographie, ce qui nous amène à l’usage plus que probable d’une chambre noire par le peintre) et à la lumière dans l’œuvre de l’artiste, qui se traduit par un travail à la limite du pointillisme et qui lui aussi traduit de façon plus que probable l’utilisation d’une chambre noire. Tout ceci pour dire que si la manière et les méthodes du peintre sont accessibles, ce qui reste hors de notre portée, c’est la capacité de l’homme à choisir les situations qui l’intéressaient, la composition et la mise en scène, l’ordonnancement. Là, nous touchons à l’intelligence, l’humanité de la personne ainsi que son vécu, son caractère, ainsi que sa façon de travailler sans doute aussi à l’écart entre l’activité de la ville et celle de la maison. Et, pourquoi si peu d’œuvres ? Manque de temps (vie familiale, autre activité rémunératrice, besoin de peaufiner encore et encore, ou révélateur d’un besoin d’échappatoire à la vie domestique) ? Tout cela est désormais trop loin pour arriver à des certitudes. Vermeer conservera éternellement sa part de mystère, ce qui explique en partie la fascination que ses œuvres exercent sur nous. A noter quand même que si ce documentaire donne un bon aperçu de l’exposition et de l’œuvre de Vermeer, il ne remplacera jamais la contemplation des tableaux de visu. A vrai dire, pour en profiter vraiment, il faudrait aller de musée en collection pour se poster devant chaque œuvre tranquillement.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné