"Vous en avez assez de cette bande de racailles, on va vous en débarrasser", Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, 2005.
La peur est une émotion personnelle pourtant très liée à la culture. Les traditions, les écrits, les discours ou encore les films alimentent la peur.
La peur instrumentalisée est un outil politique.
Comme l’intégralité des émotions, il est possible de comprendre la peur, d’en analyser les origines et les conséquences.
Là est déjà un premier obstacle, celui du singulier.
Si la peur est singulière, elle est aussi manifestement plurielle.
Le groupe conditionne-t-il la peur de l’individu ou l’accentue-t-elle ?
Pourquoi a-t-on peur des araignées ? Par méconnaissance, conditionnement ou habitude ? Pourquoi cet animal en particulier ? Car il fait partie de notre quotidien tout en étant souvent dissimulé à notre regard ?
Le cinéma d’horreur passionne car il interroge les peurs en les mettant en scène.
Comme souvent, la peur est, au cinéma, plurifactorielle.
“Tu me mets quelques Blancs... Enfin, quelques White, quelques Blancos !”, Manuel Valls, maire d’Evry, 2009.
Dans Vermines, premier long-métrage de Sébastien Vanicek, les araignées font peur.
Vermines s’inscrit dans la continuité des films d’horreur qui installent la menace en explicitant son origine. Si la scène introductive convoque l’Exorciste de William Friedkin, c’est pour mieux imposer son propos dès l’entame. L’idée, simple et efficace, est de placer le contexte d’un autre pays, d’une autre langue, d’une autre faune, bref, d’un ailleurs. Installer d’entrée de jeu la menace comme étant l’intrusion d’un élément extérieur au contexte spatial des protagonistes. Elle fait irruption dans leur quotidien par la faute de l’Homme. Ce passage de l’extérieur vers l’intérieur est littéral puisque le film se passe en huis clos, dans un immeuble. Le contraste entre la première scène et le reste du film révèle et relève le propos.
A partir de ce point de bascule, la peur va naître.
Sébastien Vanicek applique des effets horrifiques aux références diverses. D’abord, les jumpscares, ces surgissements soudains si coutumiers du genre. Ici, l’effet est pertinent. Une araignée, c’est bien connu, ça se terre dans une tanière ou, si possible, dans la pénombre des endroits exigus. On s’attend à trouver une menace, celle-ci a huit pattes. Conduits d’aérations, chaussures, serviettes de douches, j’en passe et des plus effrayants. L’objectif est atteint en pervertissant les objets et lieux de la vie de tous les jours, en les transformant en autant de planques potentielles pour les arachnides. Le jumpscare joue sur l’attente et la surprise à la découverte. Au fur et à mesure, le spectateur sait que tout est source éventuelle de sursauts. La peur est donc autant dans ce qui existe réellement que dans le suspens de découvrir ce qui adviendra par la suite. L’effet est ici utilisé avec pondération, toujours justifié par la nature du danger.
Autre plan horrifique qui me plaît particulièrement, ce que j’appelle le hors-champ personnage. Le spectateur voit un élément que le personnage ne voit pas. Dans le miroir de la salle de bain, apparaissent des araignées, grouillantes et nombreuses, qui s’introduisent par la ventilation. Le rapport de complicité entretenu avec le spectateur accentue la peur. Quand le personnage découvre enfin la menace, c’est le début de la fin et, contrairement à l’arrivée progressive de l’élément, ce qui va arriver après n’est connu de personne. Ce fonctionnement à rebours est très plaisant car il suspend le temps pour mieux l’accélérer ensuite. Quand le regardant a peur depuis plus longtemps que le regardé, l’implication n’en n’est que renforcée. La complicité spectateur-film joue donc sur la peur partagée des araignées, renforcée ici par leur nombre.
Toujours au cœur de cette fameuse scène de la salle de bain, le personnage, apeuré par la bestiole, se réfugie dans la cabine de douche. L’ombre disproportionnée de l’araignée qui grimpe la paroie achève de l’effrayer. Sébastien Vanicek joue avec une forme de hors-champ qui se trouve dans le champ. Ce n’est pas directement l’animal que l’on voit mais une projection, trouble et pourtant très proche. Coup de massue final, les araignées, par dizaines, sortent de la bonde de la douche. Comme dans tout bon tour de magie, l’attention du spectateur a été détournée pour mieux être accaparée par la suite. La peur se situe autant dans la menace effective que dans la panique provoquée par cette dernière.
“Les gens qui vivent dans les quartiers, ont besoin qu’on les aide, qu’on les porte.”, Emmanuel Macron, président de la république , 2018.
Vermines se renouvelle régulièrement. Tirer la meilleure part de ces contraintes s’avère une priorité. S’il est filmé aux arènes de Picasso de Noisy-le-Grand, dont l’architecture très singulière est propice à l’horreur, Vermines ne pose pas un regard maladroit sur les quartiers. En changeant de lieu en demeurant dans un espace clos, Sébastien Vanicek exploite ses décors et ses contraintes de production. La créativité et l’efficacité du film doivent beaucoup au budget relativement limité du projet. Avec peu de moyen, la débrouillardise est de rigueur. Faire le plus avec le moins nécessite un travail à tous les niveaux, de l’écriture du scénario où il faut garder en permanence à l’esprit la faisabilité en acte d’une idée sur papier jusqu’au tournage en passant par le casting ou encore les effets spéciaux. Le dresseur Karim Daoues a travaillé avec les araignées en chair et en poils sur le tournage, donnant une crédibilité aux plans qui les mettent en avant. Les plans avec ajouts en numérique ont été limités et leur intégration donne de l’envergure à une mise en scène déjà réussie.
Les références offrent à Vermines l’opportunité de les digérer pour mieux façonner sa propre identité. Et cela, le film le fait particulièrement par son propos. Comment ne pas évoquer REC° de Paco Plaza et Jaume Balagueró quant au choix d’un immeuble où les habitants sont confinés malgré eux et contraints, par les autorités, à rester à l’intérieur ? L’influence de REC° se ressent également par le plan de la trappe. Ici, une employée de ménage qui engouffre le haut de son corps dans le plafond pour gazer les araignées. Foulard autour de la bouche et armée de bombes insecticides, elle brave la menace. Il en est de même pour les habitants de l’immeuble, héros du film qui font preuve de solidarité malgré le danger. La répression et l’inaction des forces de l’ordre face à la fraternité de ceux qui veulent survivre, s'échapper.
S’échapper. Le message du film se situe dans ce verbe. Les araignées n’ont rien à faire dans cet immeuble et ne font que se nourrir. Les vermines éponymes ne sont-ils pas ceux qui veulent s’échapper de leur condition ? Les mis au bancs, à grands coups de plan banlieues, de politiques sécuritaires relevés de discours alarmistes communautaires ? Ceux qui font peur, qui ont peur. Ceux qui, bien souvent, sont inaudibles.
Sébastien Vanicek a grandi à Noisy-le-Grand. A sa manière, il rend hommage, délivre son message tout en garantissant un film divertissant.
Finalement, le meilleur moyen de redonner ses lettres de noblesse aux araignées comme aux “rebuts de la société” n’est-il pas de se faire une toile ?