Les gens qui n'aiment pas Ford (HA HA HAAAaa, les fous !) peuvent très facilement déceler dans ce "vers sa destiné" (au titre français comme d'habitude aussi horrible qu'en total contresens) tout ce qu'il n'aiment pas. Dans ce "Abraham Lincoln - les origines" tout peut en effet au premier abord sembler lisse et manichéen.
Alors que c'est évidemment tout le contraire.
Car le personnage que met en scène le vieux John est en tout point passionnant. Certes, on assiste a ce qui va faire que Abe deviendra Lincoln (oui oui, les jeunes, il est effectivement très fort avec une hache dans les mains) mais pas de la façon si habituelle de montrer un héros dans la mythologie cinématographique américaine traditionnelle.
Le jeune Abraham est montré comme un être indécis, dilettante, rusé, intuitif et volontiers tricheur.
La seule chose qui annonce le personnage politique et publique qu'il deviendra consiste en une scène magnifique où il entreprend de stopper un lynchage en cours. Non parce qu'il se montre éloquent, mais parce qu'il se montre vrai, en rappelant à quelques participants -choisis, connus de lui- quels individus ils sont quand ils sont séparés d'une foule hurlante et aveuglée.
Car voilà le fil rouge du type: une fois décidé (ce qu'il met toujours un moment à être), il est poussé par une conviction si puissante que plus aucun obstacle ne peut l'empêcher d'arriver au but. S'il doit utiliser la force, il en est parfaitement capable (voir le concours de fendage de tronc pendant la fête de la ville), mais s'il voit qu'il ne parviendra pas au but ainsi, il utilisera d'autres moyens, la tricherie s'il le faut (le concours de la corde).
(d'ailleurs, tricher pour la bonne cause, c'est aussi ce que fait Ford dans cette formidable scène de meurtre, que l'on pense dans un premier temps avoir parfaitement vu)
L'homme n'est ni un cul-benni, ni un bien-pensant.
Ce n'est ni la vérité ni la justice qui le motive, mais une lutte incessante vers ce qu'il pense être le bien. Parce qu'il sait ce qu'est le mal, profondément ancré en lui. C'est pour ça, notamment, qu'il choisit comme juré cet alcoolique qui admet être un menteur: signe pour Lincoln/Ford d'une volonté d'honnêteté bien plus valable que toute apparence de respectabilité trouvée chez les autres.
Au cours d'un procès atypique à bien des égards, il n'hésitera pas non plus à utiliser des procédés que la morale réprouve comme de se moquer du nom du témoin pour se mettre le jury et le public dans la poche.
Comment ne pas dire un mot, enfin, sur l'habituel génie de la distribution, emmenée par un henry Fonda totalement bluffant et parfaitement jouissif.
J'ai volontairement fait une allusion dans le deuxième paragraphe au Abraham Lincoln de 2012. Si les enjeux sont évidemment diamétralement opposés (je précise pour ne pas à avoir à la rappeler en commentaire) c'est une nouvelle fois l'occasion de mesurer le gouffre qui sépare les deux œuvres, distantes de 75 ans. Le film de Timur Bekmambetov représente une formidable avancée technologique et un phénoménal recul artistique.
Signé: le vieux con ronchon.