Au cinéma comme ailleurs, les modes vont et viennent. Après le succès des teen-movies des années 1990 à 2000, plus bruts et plus immatures que ceux des années 1980, dont American Pie fut le porte-étendard, Very Bad Trip signe la fin de la récréation. Avec les comédies de Judd Apatow et de ses amis, le film de Todd Philipps enterre la figure de l’adolescent comme acteur comique pour lui préférer son pendant adulte.
La rupture de ton n’est pas complète, car d’American Pie à Very Bad Trip et d’autres comédies, l’humour n’atteint pas la subtilité de celles qui plaisent aux gentlemen distingués mais bien d’une certaine tonalité assez débridé, où l’immaturité affichée est un rempart contre la morosité du monde réel, qu’on soit adolescent ou adulte.
Et parmi tous les rituels habituellement rattachés au passage de l’enfance à la vie adulte celui du mariage est l’un des plus traditionnellement ancré. Une vie d’adulte, la bague au doigt, un compagnon pour la vie et ce qui en suit : la maison, les enfants, le chien et les dettes, en grossissant le trait d’un œil un peu taquin. Mais juste avant ce moment solennel existe un autre rituel l’enterrement de vie de garçon ou de jeune fille, qui porte bien son nom. Cet enterrement ne doit pas être sinistre mais un moment de fête, où tout serait permis, comme une dernière fête adolescente avant le passage à la vie d’adulte.
C’est donc le prétexte de ce Very Bad Trip, un enterrement de vie de garçon qui dégénère, des amis qui se réveillent le lendemain d’une soirée à Las Vegas, dans une chambre d’hôtel qui tient de la cour des miracles ravagée par une tempête, sans souvenirs dans leurs petites têtes cabochées par la nuit. Et avec une terrible absence, celle du futur marié, lui qui doit se marier le jour suivant.
Ses témoins Phil, Stu et Alan vont donc tenter de remonter le fil des heures précédentes, démêler le sac de nœuds d’une soirée qui a complètement vrillé, avec une exagération toute débridée, où il sera question d’un mariage et d’un bébé, d’un mafieux fou, d’un tigre et d’autres folies. Tout est possible à Vegas, et ce qui se passe à Vegas reste à Vegas.
C’est donc une enquête à rebours pour comprendre ce qui a pu se passer au cours de cette nuit, et qui rappelle dans l’idée l'amusant The Night Before (1988) avec Keanu Reeves. Un fil de déductions en déductions, de surprises en surprises, avec la contrainte de retrouver le marié, Doug, et de le ramener à temps pour son mariage.
C’est délicieusement farfelu, rempli de scènes surprenantes, mais pourtant toute cette enquête se tient suffisamment correctement, à partir du moment où le principe est accepté. Certaines comédies justifient leurs faiblesses et possibles erreurs de continuité par leur nature, « on s’en fiche, ce n’est qu’un film », mais Very Bad Trip prend le parti d’être solide dans le déroulé de ses évènements, tandis que ceux-ci restent exagérés.
Il profite d’ailleurs de personnages suffisamment porteurs, suffisamment catégorisés, assez évidents mais pourtant jamais dans une redite trop apparente. Le film s’appuie de toute façon très fortement sur ses acteurs, en premières loges, dont le succès lancera leurs carrières. Phil est un professeur un peu décadent, charmeur et joueur, joué par un Bradley Cooper qui marque la pellicule de son coolitude. Ed Helmes, déjà formidable dans The Office, incarne ici Stu, dentiste qui peine à ne pas se laisser marcher sur les pieds, notamment par sa femme. Et Alan, le beau-frère de Doug, un peu timide, un peu farfelu, dont les efforts pour s’intégrer au groupe offrent une grande partie des ressorts comiques du film. Zach Galifianakis est parfait dans ce rôle. D’autres personnages secondaires gravitent autour du trio, découverts au fil des avancées, interprétés par Heather Graham, Ken Jeong (si fou dans Community), Rob Riggle, Matt Walsch et bien d’autres. Autant de personnages à la folie plus ou moins douce, qui contraste avec le personnage de Doug, le marié, joué par Justin Bartha, si fade à l’écran. Et qui rappelle que le plus important n’est pas tant de retrouver ce futur-marié-ou-presque, mais bien de découvrir et de plonger dans cette nuit d’ivresses et de ses conséquences.
Tous ces formidables comédiens se remarquent aussi grâce à la volonté de Todd Phillips de ne pas faire un film en toc, une comédie de plus, que ce soit dans le jeu des acteurs et bien sûr dans la réalisation. Le réalisateur et producteur était d’autant plus confiant qu’il a préféré diminuer son salaire, préférant obtenir des intérêts en cas de succès, ce qui lui fut évidemment bénéfique. Cela explique les efforts entrepris. La mise en scène accompagne les comédiens, rapprochant ceux-ci du spectateur, lui faisant découvrir leurs bêtises et conséquences. Mais certains plans démontrent aussi une volonté évidente d’aller plus loin que du fonctionnel, et Las Vegas la nuit a cette beauté surnaturelle retranscrite par le film, tandis que son environnement désertique proche sera aussi utilisé pour d’autres scènes esthétiquement réussies. Very Bad Trip n’a pas d’équivalents dans la comédie de ces années, qui ont souvent cherché à en faire le moins possible, de peur peut-être de se couper d’un public considéré de manière un peu péjorative comme bon à accepter tout et n’importe quoi tant qu’il se marre.
Bien sûr, le soutien financier de Warner Bros est évident, mais il faut aussi saluer l’expertise de Todd Phillips qui n’en est pas à sa première comédie, entre quelques productions plus anecdotiques mais tout de même sympathiques (Road Trip, Retour à la fac). Il a depuis fait une carrière remarquable, avec War Dogs en 2016 et bien sûr Joker en 2019. Même si entre-temps il faut bien reconnaître que les suites Very Bad Trip 2 et 3 n’ont pas réussi à reproduire la réussite du premier volet.
Very Bad Trip est donc bien cette réussite populaire et faussement décadente. Le ton est faussement inquiet, car tout le film est d’une grande joyeuseté, ne sombrant jamais dans une amertume ou d’autres aspects plus dérangeants. Que ce quatuor ait abusé de drogues (sans le savoir), d’alcool ou d’autres plaisirs parfois immoraux, Very Bad Trip ne fera pas la morale, mais met en valeur ce comportement d’adultes qui jouent encore aux adolescents. Le film apparaît alors comme un éclat de joie et d’immaturité, aux conséquences toujours rattrapées, et qui soudera le groupe ensemble, comme d’habitude. Un fantasme pour grandes personnes, car dans la vraie vie les lendemains de cuite (et encore plus ceux d’adultes établis) n’offrent pas autant d’aventures.