Il est toujours motivant d’accueillir une proposition comme Vesper Chronicles : un film européen, porté à bout de bras par un binôme inconnu au bataillon, et qui cherche à construire de toute pièce une dystopie de science-fiction sans se décourager face au manque de moyens.
Directement branché sur les préoccupations actuelles (pandémies, désastre écologie et cynisme capitaliste), l’univers proposé n’est ni dépaysant, ni réjouissant. L’intrigue elle-même ne se distingue pas véritablement du tout-venant, en suivant une jeune fille appelée comme il se doit à changer le terrible ordre des choses. Quelques baisses de rythme occasionnent certains flottements dans la narration, et l’on constate encore quelques maladresses des premières fois.
Mais l’ensemble reste majoritairement compensé par une transformation d’un bon nombre de contraintes en atouts pour l’œuvre. Ainsi de cette économie imposée, qui attise l’inventivité des deux cinéastes au profit d’une direction artistique foisonnante et volontiers organique. En lien direct avec les enjeux du récit, centré autour de la recherche biologique et des expérimentations sur la génétique, on s’inspire de quelques influences adoucies du body horror pour construire un univers prégnant, débarrassé de toutes les scories numériques actuelles. Toute l’ouverture et la découverte de l’espace des humains se nourrit ainsi d’une esthétique tellurique, obscure et boueuse qui semble convoquer directement certains plans de Tarkovski, voire de Béla Tarr, et affirme avec une certaine fierté la dimension européenne et indépendante du métrage. Les organismes parasites s’incrustent sur chaque être vivant, et proposent en un sens une alternative terne mais tout aussi glauque au festival chromatique que proposait Alex Garland dans Annihilation.
Car si les arcs généraux restent assez proches de l’héroic fantasy pour ados, la noirceur générale tient elle aussi la dragée haute au commun des blockbusters sur le sujet. De la maladie à l’eugénisme en passant par l’esclavage sexuel, le film flirte davantage avec l’esprit nihiliste d’un Cormac McCarthy qu’avec les sucreries des franchises détenues par Disney. L’absence générale d’espoir permet aux personnages d’acquérir une véritable présence, notamment dans les personnages gravitant autour de la protagoniste : une jeune fille conditionnée et résolue à son sort, un père condamné à ne communiquer que par le biais d’un drone (qui rappelle le Wilson de Seul au monde), un oncle s’étant vautré dans toutes les permissivités du retour aux temps médiévaux, voire une mère, grande absente qui rappelle les grandes heures des Guilty Remnant de The Leftovers. Quant aux scènes d’action, elles s’en sortent avec les honneurs, que ce soit dans l’attaque bactériologique d’une maison où une traque dans les herbes létales dont le découpage se révèle tout à fait efficace. Ce mélange des genres contribue à densifier une atmosphère suffocante qui permettra peut-être de marquer davantage le jeune public, qu’on espère au rendez-vous pour honorer la vision et le courage de ses créateurs.
(6.5/10)