Après nous avoir fait découvrir les dessous de la crise des subprimes avec The Big Short, Adam McKay récidive avec l’histoire récente américaine en dépeignant un portrait extrêmement cynique de Dick Cheney. La structure déstabilise un peu au départ, parce qu’on se retrouve justement avec quelque chose de très similaire à TBS, un format plus proche d’un reportage ou d’un article de presse plutôt que cinématographique. Ça sera surtout marquant dans la première partie, qui peut s’avérer cafouilleuse avec son montage achronologique. Mais plus on avance, et plus on découvre ce bureaucrate en puissance et comment au final, son parcours l’a conduit à la Vice-présidence.
Le personnage est détestable, voire même haïssable, et pourtant on se prend à se laisser entraîner dans son parcours. Chaque nouvelle scène nous révélera une nouvelle facette, et surtout à quel point son influence aura été totale. Mais encore une fois, ce sera le ton extrêmement cynique du film et son montage qui feront qu’on restera accroché jusqu’à la fin. Plus on avance, et plus on a du mal à croire que cela a pu réellement se produire tel que c’est dépeint. Certes, on savait déjà certains aspects (les raisons de l’intervention américaine en Irak), mais c’est surtout quand on réalise les motivations derrières, la détermination presque obsessionnelles avec laquelle Cheney s’y est lancé, qu’on prend conscience tout le pouvoir qu’il avait à sa disposition sans être le Président. Bush y est dépeint non seulement comme pas malin mais surtout incompétent.
La difficulté avec ce film sera donc de savoir à quel point il est juste dans son portrait, jusqu’où il est fidèle à la réalité des évènements, précis dans son cynisme. D’autant plus qu’il joue beaucoup avec les codes du biopic : dans sa structure déjà, comme je l’ai déjà expliqué, mais également dans son approche. Par exemple, l’idée du narrateur est plutôt intéressante, illustrant d’ailleurs à merveille le cynisme du film.
L’avertissement en début de film qu’il y a une part de fiction mais plus tard le narrateur qui concède lui-même que le film ne tombera pas dans la fictionnalité de certains passages. Ou même le faux-générique en fin de première moitié…
Bref, le cynisme (oui, encore) est tellement présent qu’il est difficile de faire la part du vrai et du faux. Et j’ai adoré.
C’est ça le plus incroyable : je me suis régalé dans ce film. Parce que sa structure et son ton ont trouvé un écho intéressant avec l’histoire politique récente américaine, encore plus à présent. De très nombreuses scènes seront marquantes, que ce soit quand on réalise peu à peu l’idéologie de Cheney, l’ambition de sa femme, ou quand il prend le pouvoir à Washington. Et c’est ce qui rend le personnage aussi détestable : un bureaucrate très intelligent sans aucune morale. De plus, le film pointe indirectement du doigt les failles du tout système politique, américain en l’occurrence mais ça peut se décliner à d’autres. Tout comme TBS, tout est une nouvelle fois question d’interprétation de la loi et de comment on peut jouer avec le système pour arriver à faire des choses moralement répréhensibles sans pour autant être inquiéter.
Le casting est grandiose. J’ai beaucoup aimé Steve Carell et Sam Rockwell, qui apportent chacun un petit truc à leur personnage tout en étant très crédible (du moins pour Rockwell, je ne peux pas trop juger Carell car je ne connaissais Rumsfield avant). Amy Adams apporte aussi une touche particulière, qui donne presque l’impression d’être la seule véritable actrice présente (Allison Pill étant très discrète et peu marquante au final), ce qui est dommage. Le reste du casting pour le cabinet de Cheney est tout aussi au top, mais bon, on ne va pas tourner au pot bien longtemps.
Christian Bale est encore une fois extraordinaire. Alors c’est vrai qu’on le reconnaît bien au départ, mais la transformation au fil des années est bluffante jusqu’à ce qu’il devienne le personnage. On reconnaît encore ses yeux, son regard, qui communique beaucoup, mais que ce soit dans son langage corporel ou sa voix, il est incroyable du début à la fin. Une de ses meilleures performances !
Techniquement, je ne vais pas beaucoup m’attarder. J’ai beaucoup aimé la musique de Nicholas Britell, dans le sens où elle est très classique et a des sonorités très américano-patriotique, mais je trouve que ça renforce justement le cynisme et la puissance qui se dégage du personnage petit à petit. Les décors sont superbes, et c’est marrant de voir qu’au final, la Maison Blanche ne change pas beaucoup au cours des années, comme une sorte d’immuabilité du pouvoir. La réalisation sera efficace, même si du coup un peu déstabilisant par moment. Ça alterne entre mise en scène façon documentaire d’archive et film à biopic plus classique, mais le montage aidera beaucoup à l’en distinguer du reste.
Bref, Vice est un des films les plus cyniques que j’ai pu voir récemment. Le réalisme du portrait reste à déterminer, mais je pense qu’au-delà même de cette fidélité, c’est surtout un portrait incisif du système politique américain et de son histoire récente qui nous amène à réfléchir sur comment un seul homme a pu influencer le cours de l’Histoire. Un film à voir et à montrer, car très instructif.