Déjà, 6 mois avant sa sortie, la bande-annonce de Vice-Versa tournait dans les salles obscures. Déjà, l'astucieux trailer, en forme de sketch délirant, promettait de balayer les insipides dernières productions d'animation Disney. Depuis, le succès critique et public du dernier bébé de Pete Docter a confirmé les attentes placées en lui, rappelant pourtant à quel point l'équilibre entre ingéniosité et émotion peut être ténu.
Pixar aux (très hauts) fourneaux
Le studio américain frappe ainsi une nouvelle fois très fort en plongeant dans le cerveau d'une petite fille, construisant par là même un univers unique et d'une variété sans cesse renouvelée: on se délectera des dix premières minutes, mettant en place les tenants et les aboutissants de ce petit monde fou. La qualité d'écriture de l'univers s'étire ensuite sur les rebondissements successifs, venant entretenir la sensation d'émerveillement face à l'ingéniosité du concept.
De la même façon, les dialogues sont absolument savoureux entre les petites créatures "cérébrales", elles-mêmes génialement originales. Pixar renoue avec l'esprit de bande qui habitait Toy Story: la gaucherie de Peur, les explosions de Colère, le sarcasme de Dégoût offrent un spectacle comique de grande qualité. Alors que la plupart des autres films pour enfants se contentent de recycler un trait de caractère encore et encore, Vice Versa fait disparaître les qualités de ses personnages pour mieux les faire réapparaître le moment venu. Surtout, la juxtaposition de la "réalité" et du monde dans le cerveau de Riley assure une interactivité parfois jouissive: le film devient par moments une succession de reaction shots entre les niveaux de réalité dont on se demande lequel est la cause de l'autre.
Le tout et ses parties
Les difficultés du film naissent quand les deux univers cessent de se répondre, ce qui arrive malheureusement assez souvent. Du côté du cerveau de Riley, c'est une quête assez stéréotypée que l'on suit : une quête avec des rencontres sur le chemin, avec des obstacles multiples et assez redondants dans leur agencement, même si le délire visuel et conceptuel est permanent.
Du côté du réel, ce sont les vicissitudes (assez tendres, bien sûr) d'un déracinement, que l'on entrevoit. A travers le déménagement des parents, c'est un monde qui tend à s'écrouler dans l'esprit de Riley. Mais peu de choses, dans les dialogues, les questionnements de la petite famille, parvient pourtant à ravir, à retenir l'attention: le film se fait moins agile dans le récit "réel" de la catastrophe toute intérieure de Riley. C'est tout le paradoxe de ce Vice Versa, que de réussir brillamment à conter les petits déboires de la sortie de l'enfance en faisant coexister deux univers, sans parvenir à leur accorder leur intérêt propre.
Cette difficulté majeure se retrouve dans la mise en scène: les graphismes dans le cerveau de Riley sont parfois assez laids, tout criards comme ils sont, même si d'autres moments (comme l'épisode du ravin de l'oubli) se révèlent encore surprenants. Dans les parties "réelles", c'est l'intrigue qui demeure relativement convenue.
Du goût intime du bonbon
Les films Pixar ont souvent réussi à parler aux grands comme aux petits: ici, l'image parlera bien souvent aux seconds, quand le propos s'adressera plus aux grands. C'est d'un souffle que Vice Versa rate l'alchimie somptueuse de Là-Haut ou Toy Story, dans lesquels la forme comme le fond venaient percuter le spectateur quel qu'il soit. Ici, l'émotion se fonde sur une forme de nostalgie réservée aux adultes, celle de l'enfance et de Joie, cette jolie orfèvre.
Le dénouement, cohérent, de cette sortie de l'enfance, c'est une forme de deuil doux-amer hors de portée des plus des jeunes, et qui touchera bien plus les parents tristes d'y assister que leurs enfants pourtant sujets du film. La menace de l'arrachement qui planait sur Toy Story à travers les jouets bientôt oubliés, ne transparaît qu'avec le personnage de Bing Bong, donnant lieu à la scène la plus jolie et la plus émouvante du film. Pour le reste, Pixar fait littéralement adopter le point de vue de Riley en nous plaçant dans son esprit. Son insouciance nous empêche de ressentir au plus fort ce que c'est que de devoir grandir, laissant de Vice Versa un léger goût d'inachevé.