Quel drôle d’objet que ce Viendra le feu, troisième long-métrage d’Olivier Laxe, cinéaste discret mais costaud qui aime à éblouir et à dérouter avec ses fables métaphysiques. Ceux qui l’ont vu s’en souviennent encore: Mimosas (2016), son précédent film, errance d’une poignée d’hommes en charge d’amener un corps jusqu’au lieu de son dernier repos, éblouissait autant qu’il laissait le spectateur sur sa faim. Ici, le cinéaste conclut également son film de façon brusque, après nous avoir aspergés les yeux d’images magnifiques de flammes terrifiantes – des images qui ne sont pas sans écho, aussi effrayantes soient-elles. Non pas pour nous frustrer mais pour faire durer le plaisir dans nos têtes longtemps après la projection. Lové dans un écrin flamboyant, calme et troublé, le film ressemble à un éclair dans un ciel serein. Ce qui frappe au-delà de tout, c’est à quel point le film tisse un paradoxe entre l’apparente simplicité du récit et l’atmosphère énigmatique du climat. Soit l’histoire du retour d’Amador Coro dans son village après avoir été condamné pour avoir provoqué un incendie dans les montagnes de la Galice. Il suffit de voir la manière dont le montage agence les mots, pour comprendre tout ce qu’il se passe sans que rien ne soit réellement explicité. Et le mystère de flotter, de perdurer.

Une phrase du cinéaste Lisandro Alonso (Los Muertos, Jauja), nous vient directement à l’esprit : «Je ne crois pas beaucoup au verbe, à la parole, aux mots que prononcent les êtres humains. Je crois plutôt aux actes et à ce que je vois. […] Face à la crise permanente, aux difficultés de vivre, on n’entend que des mots allant à l’encontre des réalités». C’est exactement ce se produit à l’écran. Le visage d’Amador Coro témoigne d’une inadaptation et d’un profond malaise. À son retour au village, il n’est attendu par personne. Il est seul avec sa mère, ses trois vaches dont il s’occupe. Le rythme est lent, l’empathie grande. Le traitement évoque le minimaliste de Bresson. Comme si la lenteur et la longueur étaient les seuls moyens de cerner le personnage, de percer cette opacité, de révéler une vérité intérieure et inaccessible. Amador se présente comme un homme visiblement attaché à la nature primitive; quelque chose de l’ordre du sacré se dégage de son rapport. La composition des cadres met l’accent sur la tension entre la figure humaine et l’étendue des paysages de cette magnifique région. C’est donc peu dire que nous sommes envoutés. Dans une séquence extraordinaire, alors que la nuit bat son plein, des arbres tombes un à un dans un fracas sourd et ordonné. Le décor semble irréel, la lumière artificielle, avant de comprendre qu’il s’agit d’énorme machine qui renverse les arbres comme si elle tondait une pelouse. Soudain, les machines s’arrêtent devant un arbre immense qui semble aussi vieux que le monde. Un champ contre-champ traduit de la plus belle des façons à quel point la nature regarde l’homme depuis le début. À l’instar des différents regards caméra qu’exercent les animaux, que Laxe prend le soin de filmer durant tout le film, la nature et l’homme se révèlent en perpétuelle confrontation dans un monde à l’agonie. Fragile et brûlant, Viendra le feu porte bien son titre.

Theolino
8
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le 7 nov. 2021

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