Rester vertical, après L’inconnu du lac, avait été une telle douche froide qu’on en avait perdu notre latin : comment était-il possible que le même réalisateur fit ces deux films, l’un sinistre quand l’autre incandescent ? Six ans après, on espérait un peu, beaucoup, que Viens je t’emmène allait nous réconcilier avec Alain Guiraudie, avec son cinéma libre et dégingandé. D’ailleurs on partait motivé, excité presque, avec une histoire tordue qui promettait son lot de loufoqueries et un regard mi-aiguisé, mi-décalé sur le monde. À la Guiraudie quoi. L’histoire d’un homme, Médéric, qui tombe amoureux dingue d’Isadora, prostituée mariée à un homme violent.
Et alors qu’une attaque terroriste provoque soudain une psychose générale, Médéric, obnubilé par Isadora, vient en aide à un jeune sans-abri, Selim, ce qui, évidemment, ne va pas arranger le cours des choses. Pour Guiraudie, il est question ici de dire les maux d’aujourd’hui, ces maux qui minent société, quotidien et rapports (circonscrits à un immeuble et à quelques rues de Clermont-Ferrand), et qu’on appelle racisme, et violence, et paranoïa, et rejet de l’autre. Mais le dire sans démagogie et sans les gros sabots, et parfois même avec humour, et entre deux scènes de cul si possible. À la Guiraudie quoi. Mais ce n’est pas ce qui l’intéresse vraiment de toute façon, enfin pas complètement.
Plutôt observer comment l’amour et le désir parviennent à surmonter, à s’affranchir de ces maux. Comment ils s’immiscent malgré le chaos, comment ils y circulent, comment ils prennent forme(s), du simple coup de foudre à la jalousie la plus exacerbée en passant par la passion secrète, inavouée jamais (ou trop tard). Cet alléchant programme ne tiendra malheureusement pas ses promesses, et encore moins la route. On s’étonne d’abord, puis on constate : Guiraudie paraît avoir perdu la main, et tout dans Viens je t’emmène fait affreusement approximatif, sonne souvent faux, du jeu des acteurs aux dialogues, d’une mise en scène inexistante à une photographie sans éclat (en toute objectivité, admettons-le : le film est d’une laideur totale).
Sur le papier, cette volonté d’aborder nos désenchantements contemporains par l’entremise d’une valse des sentiments (et des corps) permettait un parasitage du réel savoureux dont on pensait Guiraudie expert (L’inconnu du lac et son silure monstrueux, son serial killer sexy…). À l’écran, tout se casse la gueule : on dirait du mauvais boulevard ; un état des lieux du territoire France pas plus approfondi qu’une brève de comptoir ; un vieux Mocky ressorti d’un vieux tiroir, ou un Blier qui a tourné ; un machin fait avec les pieds, sans à-propos ni aucune incarnation malgré la plus que bonne volonté de Jean-Charles Clichet et Noémie Lvovsky.
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