Lorraine Coeur d'Acier.Orphée,qui vient de vendre sa société d'informatique,se lance à l'aventure sur les routes et déboule par hasard à Moussin,petite ville de l'Est,où il assiste à la mort étrange de la pharmacienne locale.Intrigué,il décide de rester un peu pour enquêter et il va découvrir les dessous pas propres de cette commune ruinée par l'abandon de la sidérurgie mais où les gens,presque tous chômeurs,vivent royalement sans travailler grâce aux subsides dispensés par un mystérieux mécène.Les notables du coin,surtout ceux bossant dans le milieu médical,semblent au centre de ce système opaque mais ils meurent les uns après les autres.Passant un jour à Fourmies,ville du Nord économiquement sinistrée,Jean-Pierre Mocky y avait rencontré la libraire du patelin Michèle Delmotte,qui lui a proposé un scénario inspiré d'une histoire vraie.Certains habitants de la région,sans emploi,acceptaient de servir de cobayes à un laboratoire situé au Luxembourg tout proche afin de tester des médicaments,ce qui avait entraîné quelques ennuis de santé,voire des décès bizarres.Mocky a aimé le concept et a adapté le script en le transférant en Lorraine.Il réalise,monte et coécrit le scénario avec Delmotte et son pote André Ruellan.Il s'agit d'un des derniers Mocky évoluant dans un contexte économique de série A,c'est produit par Alain Sarde et il a pu bénéficier d'un étourdissant casting.On tombe hélas dans les travers coutumiers du cinéaste,incapable de cadrer son récit et qui fonce tête baissée dans une narration dépourvue de maîtrise et de cohérence.Ca n'a ni queue ni tête,c'est n'importe quoi d'un bout à l'autre et la logique est aux abonnés absents.On ne comprend pas par exemple pourquoi le héros se met à investiguer,ce n'est pas son métier,il n'est pas du bled et compte bien reprendre son périple,son acharnement à résoudre l'affaire est invraisemblable,tout comme le fait que les potentats locaux le laissent tranquillement interroger et rudoyer des témoins en toute illégalité.Difficile aussi de saisir pourquoi ces comploteurs s'entretuent plutôt que d'éliminer ce gêneur ou ceux qui l'assistent.Quant au deux ex machina qui apparait au final pour tout expliquer alors qu'il est le commanditaire de tout ce cirque,il tombe de nulle part et ses révélations sont bien décevantes.Le film souffre aussi de dialogues,probablement signés Ruellan,qui font dans le littéraire abscons et énigmatique hors de propos.C'est évidemment destiné à renforcer l'étrangeté du dispositif mais cette purée verbeuse mal écrite fait plutôt sortir du film.Tout ceci est fort regrettable car de grandes qualités sont ici présentes.On doit d'abord remarquer que c'est une oeuvre foutrement visionnaire.Des labos pharmaceutiques rapaces testant à grande échelle leurs produits suspects sur des populations ignorantes des risques encourus qu'on récompense de leur participation pour les endormir,ça devrait vous rappeler des choses.Et cette vague d'embolies injustifiables provoquant de nombreuses morts,on est en plein dedans!Par ailleurs Mocky parvient à installer ce qu'il fait de mieux,une atmosphère étrange,inquiétante,délétère,à la limite du fantastique.Ca commence par les décors.On a filmé dans le bassin minier lorrain,à Joeuf et à Rombas,des lieux fantasmagoriques pleins d'usines désaffectées,de hauts fourneaux à l'abandon,on en voit même un détruit par explosion,des bâtiments sales et décrépits,des rues vides et déprimantes,des marécages noirâtres et boueux.Tout pue la défaite et la misère,ce qui contraste furieusement avec la bonne humeur des habitants.Du reste cette liesse permanente semble factice et ces fêtes ont quelque chose de lugubre,ce que confirme la musique grinçante et faussement joyeuse de Vladimir Cosma et les têtes d'enterrement des notables endimanchés entonnant des chansons étranges et sinistres.On pense à des oeuvres antérieures de Mocky telles "Litan" ou "Agent trouble",ou à "Noir comme le souvenir" qu'il réalisera trois ans plus tard.Concernant les acteurs,leurs performances laissent une impression ambivalente.D'un côté leur talent est sûr et leurs fortes personnalités impriment bien la pellicule,mais par contre leurs façons de jouer,très différentes,ne s'accordent pas toujours et la partition les pousse généralement à en faire trop.En somme on gagne en fun ce qu'on perd en efficacité,à l'image d'un Michel Serrault déchaîné mais pas crédible un instant en maire libidineux à catogan.Catogan également pour Richard Bohringer,froid comme une lame en docteur assassin dans un rôle finalement proche de celui qu'il tenait dans "Agent trouble".Tom Novembre aussi,en routard fouineur,assure plus ou moins le même emploi que dans le Mocky cuvée 87.Comme JPM veut toujours des gimmicks caractérisant les personnages,il a affublé Jacqueline Maillan d'une extravagante coiffure en cône type pub Orangina,Dominique Lavanant d'un large bandeau sur la tête genre catho tradi,Michel Constantin d'un look gentleman farmer à chapeau au bord tombant ou Féodor Atkine d'une abondante et répugnante sudation.Mais le réalisateur s'est appliqué le traitement à lui-même en se parant d'un atroce accent allemand et d'un rouge à lèvres de travelo ridicule,tandis que sa compagne,la jeune et belle Lauren Grandt,hérite de cheveux blancs inattendus,ce qui ne l'empêche pas de parler faux selon sa bonne habitude.Darry Cowl fait un vétérinaire grave à l'ouest qui passe son temps à filocher tout le monde,Eddy Mitchell un légiste à la déontologie discutable,Bernadette Lafont une inspectrice de police peu motivée,Daniel Prévost un vibrionnant capitaine de gendarmerie ripou et obsédé sexuel,Philippe Léotard un kiné inquiet à l'oeil tombant,Valérie Mairesse une accorte préparatrice en pharmacie et Pascale Petit,qui fut une star des années 50,est encore superbe à 54 ans et apporte le seul plan nichon du film en dévoilant plein axe un magnifique sein droit.Bien sûr il y a le petit peuple des gueules cassées et des physiques discordants cher à Mocky,où l'on retrouve plusieurs habitués des films du Maître.Outre Moïse Partouche en curé albinos assez effrayant ,voici donc Antoine Mayor,Jean-Pierre Clami,Christophe Bier,Frankie Pain,l'inévitable duo Henri Attal-Dominique Zardi,ainsi que les héros de faits divers Yves Belluardo,mystérieusement assassiné en 2004 au Mans en même temps que sa compagne,et le braqueur multirécidiviste Roger Knobelspiess,idole de la gauche française raffolant de la canaille,qui tournait là son premier Mocky.