Le documentaire de Thierry Demaiziere et Alban Teurlai Cœur Sanglant est un extraordinaire document psychanalytique sur Vincent Lindon. Franc, rugueux, à vif. Les portraitistes livrent un Vincent Lindon désespéré et hanté, intransigeant et profondément seul.
Cœur Sanglant montre ce que l’enfance fait à l’adulte, ce que la vie fait aux êtres quels qu’ils soient, ce que la haine de soi fait au cœur. Ce que le cœur et l’émotion font : une œuvre de bonté. Nous sommes les obligés de la peine perdue. Les obligés du cœur. De notre détresse infinie. C’est de cela dont nous parle Vincent Lindon.
For intime
Rares sont les documentaires qui s’aventurent si loin dans la mise à nu et le for intime. Dans le dépouillement et l’analyse psy. Sans artifice. Sans complaisance. (Certains y verront narcissisme et complaisance tant le dévoilement brutal peut se révéler en son contraire). Sans vis-à-vis autre que Vincent l’homme-père-fils face à lui-même.
Sauvage solitude
Les deux portraitistes ont demandé à l’acteur dans ses moments de creux de s’enregistrer et de se filmer au téléphone. Des moments de vide, de solitude aride, Vincent Lindon comme nous tous en a. Disons qu’ils sont plus saisissants par le contraste qu’ils opèrent, par l’inimaginable entre le fantasme de ce que peut être la vie d’un acteur de sa stature et le réel morne avéré. Entre deux tournages où il est sans cesse entouré, sollicité, accaparé par des équipes donc une tribu d’autres, sa solitude, celle d’un acteur-samouraï, proche de Delon (dans son incapacité à être au monde avec quiétude), dans la blessure originelle d’enfant insuffisamment aimé, apparaît ample. Lancinante, insatiable et sauvage.
L’adversaire intime
La solitude de l’acteur (au firmament de sa carrière mais en questionnement féroce face à ce qu’il vit) dont il parle et qu’il questionne lorsqu’il se retrouve à la Closerie des Lilas pour dîner – ayant passé auparavant 15 coups de téléphone pour essayer d’avoir un ami avec lui -, cette violente solitude qui a pour autre nom la haine de soi ou le déficit d’affection de ses parents, c’est l’ennemi, l’autre, l’adversaire intime avec lequel Vincent se bat.
Peine perdue
Cœur Sanglant ne cesse de nous montrer un homme saignant éperdument d’amour, de quête héroïque de bonté, de tentative d’être le fils remarqué de ses parents. Thierry Demaiziere et Alban Teurlai ont été chercher dans l’écriture ce qu’aucun acteur ne dit : la vérité d’un inassouvissement, la vérité d’une blessure infinie, d’une frustration hémorragique, la vérité d’une peine perdue.
L’obligé de la lutte des classes
Vincent Lindon y livre un Vincent mensch, un homme parmi les hommes, en proie à ses doutes, ses colères, sa rage, sa volonté de se battre, ses larmes d’enfant aux Césars et son impossible réconciliation avec la détresse, la non-joie de cette même enfance. Un homme à l’idéal grandiose, celui qu’il incarne dans ses choix de rôles, un homme digne d’admiration, possédant un caractère noble. Un bourgeois certes, qui va défendre l’ouvrier aliéné de Marx et devenir l’obligé de la lutte des classes. Il n’a que faire de la psychologie des personnages. Et nous lui rendons grâce de cela. Mais il choisit des personnages qui l’obligent (cf. la trilogie de Stéphane Brizé).
Le document que constitue ce film est à la fois risqué et remarquable. Il faut pouvoir envisager l’œuvre, le travail des portraitistes. Leur parti-pris est délicat, courageux et âpre. Avec l’entière confiance et sincérité de Lindon, ils construisent une sorte de cas Lindon au sens le plus noble et psychanalytique de Freud.
La séquence où l’acteur évoque sa mère est monstrueuse d’émotion. C’est une fiction à part entière. Son plus beau rôle. Ce film est un réservoir à fictions futures émanant des obsessions de l’acteur. Gageons que cela autorise certains à lui confier un rôle Outre-Atlantique ou ici, dans des zones aussi inattendues que Titane.
Les mots sont du cœur
Surtout soyons attentifs à la parole. Sa parole. Aux mots ici qui sont du cœur. Jamais pour rien. Urgents et vitaux. A quoi sert une vie, un rôle, un métier ? A quoi sert un dimanche sans âme où d’évidence il n’y a rien à tracer, rien à transmettre de grandeur et hauteur d’âme, des journées vides de remplissage à faire semblant d’avoir des rendez-vous importants surlignés en différentes couleurs sur un mini-agenda pour être « pressé de ne rien faire ».
A quoi sert de faire si on ne fait pas de sa vie une mémoire, une œuvre, une trace ? Ah oui, mais cela, c’est Delon. Alors, pour Lindon, quel est l’intérêt si on ne fait pas de sa vie un parfum ?
A VOIR DE TOUTE URGENCE