Un film terrible, arguant via son intitulé toute une programmatique faite de concessions, de cruautés et de ressources (in)humaines. D'emblée Jean-Marc Moutout nous présente son protagoniste ( le jeune Philippe, superbement incarné par Jérémie Renier ) comme un type sensible et bien sous tous rapports, introduisant de façon à la fois subtile et pragmatique les enjeux à venir : relation amoureuse, carrière professionnelle et cas de conscience seront les pistes suivies par le réalisateur et son équipe technique, dépeignant le jeune homme comme incapable de concilier son emploi et sa vie privée : c'est fort, élégamment écrit et doué d'une véritable intelligence !
Par ailleurs le casting nous réserve quelques très belles surprises, notamment un Laurent Lucas parfait en entrepreneur sans scrupules au patronyme cocasse de Hugo Paradis ( le comédien dégage cette neutralité essentielle au rôle de carnassier tranquille et fin psychologue qu'il incarne avec une discrète virtuosité ) ou encore une superbe Cylia Malki entièrement crédible en jeune mère silencieusement endolorie ; en montrant le parcours initiatique, souvent proche du dépucelage, du naïf et certainement idéaliste Philippe Seigner le réalisateur retranscrit tout un univers froid et impersonnel mêlé de faux-semblants et de violence civilisée auquel notre héros devra malgré lui s'acclimater au détriment de ses états d'âme, afin d'intégrer les hautes sphères du management.
Le film - s'il reste principalement le portrait sans fioritures d'un entrepreneuriat voué à aiguiser le couperet social sans limites ni tortures internes - n'en délaisse pas pour autant le facteur humain, présentant entre autres choses le quotidien peu évident de quelques salariés de la classe populaire incluant un vieux briscard du monde usinier ( Olivier Perrier, impeccable en prolo bourru et fatigué ). Ce contrepoint participe à la richesse d'un film tout sauf utopique et/ou stupidement illusoire, suffisamment rare et salutaire pour être vu, et pourquoi pas revu. J'ai adoré.