À chaque sélection cannoise ses ovnis. Vivarium de Lorcan Finnegan est sans aucun doute celui de la Semaine de la Critique de ce Festival de Cannes 2019. Un film où l’irrationnel, le fantastique, l’absurde, ou encore la folie se mêlent pour offrir au spectateur une séance aussi hypnotique que dérangeante.
Synopsis : À la recherche de leur première maison, un jeune couple effectue une visite en compagnie d’un mystérieux agent immobilier et se retrouve pris au piège dans un étrange lotissement.
Vivarium est le parfait exemple du film à concept, qui mise tout sur son originalité et son caractère délirant quitte à se révéler d’une vacuité abyssale dans le fond, pas aidé par une forme elle aussi assez discutable. L’on suit donc un couple pris au piège d’un lotissement infini, qui semble créer une boucle si bien que l’on a beau avancer en ligne droite, on revient toujours au point de départ. Impossible de s’en échapper, sinon d’espérer être libéré par les instigateurs inconnus de cette mascarade en se pliant à leurs ordres successifs. C’est pourquoi le couple va devoir habiter les lieux, faute de pouvoir partir, errant à la recherche d’une issue dans ce lotissement sans fin où ils sont absolument seuls, où même le vent ne s’engouffre jamais, où le mouvement n’existe pas, où les nuages sont tous identiques.
Le lotissement est franchement laid, les fonds verts grossiers et les images numériques semblant dater de la fin des années 2000 (alors que le film est prévu pour février 2020 !). Pourtant, une inexplicable identité se dégage de ce film, par ses couleurs criardes, ses maisons clonées à l’infini, son côté « parfait, trop parfait » qui appuie le malaise en créant un décalage entre la folie des personnages et la perfection matérielle absolue.
Si le film passionne tant malgré lui, c’est que son rythme est d’une efficacité redoutable : une heure et demie qui passe comme rien, le concept étant déjà lancé à peine les dix premières minutes écoulées. Tout s’enchaîne bien, sans laisser au spectateur le temps de souffler ni de tenter de rationaliser ce qu’il a sous les yeux. Tant mieux, en un sens. Difficile, en sortant de la salle, de savoir si l’on a aimé ou non. Beaucoup de gens se sont endormis, d’autres paraissaient passablement ennuyés ; c’est compréhensible. Sans adhérer au style dès le début, on ne peut que passer un mauvais moment. Mais si l’hypnose fonctionne, impossible de ne pas être investi à fond dans la longue dégénérescence mentale de ce couple piégé dans une sorte de « jeu » fantastique et malsain. Chaque scène est plus étrange que la précédente, plus incompréhensible dans son intention même si ce qui se passe à l’écran est tellement littéral qu’il n’y a aucunement besoin de réfléchir pour comprendre la scènes indépendamment d'un tout toujours plus obscur.
Empruntant à The Truman Show sa mise en scène de l’isolement au sein d’un monde factice et trop beau pour être vrai, à Un jour sans fin pour le besoin qu’ont les personnages de tisser un nouveau rapport au temps et à l’espace (questionnant également brièvement la morale, le bien et le mal), ou encore à Mother! pour sa dimension cyclique et conceptuelle, Vivarium est un produit rafraîchissant mais qui n’arrive jamais à la cheville des inspirations susdites. Ne racontant rien sinon une simple histoire irrationnelle et absurde, bien que s’essayant à une grande parabole sur le foyer et la perte du cocon familial (d’où le titre, évoquant les oiseaux tombés du nid), le film de Lorcan Finnegan a le mérite de pousser son concept dans ses retranchements, s’arrêtant juste à temps pour que l’on pressente ses limites sans pour autant les franchir.
Une curiosité, un trip hallucinant dans lequel Jesse Eisenberg et Imogen Poots ont l’occasion de cabotiner tout en restant convaincants. Difficile d’anticiper la réception qu’aura le film, par la presse comme par le grand public. Car tout en étant très faible sur de nombreux points, il se révèle passionnant et jouissif sur le moment.
[Article cannois pour Le Mag du Ciné]