La Chine au XXème siècle.
L'Histoire récente de la Chine est un monument encombrant. La République Populaire de Chine lui a donné les dimensions de Tian'anmen mais l'a dépourvu de profondeur. Elle a préféré une place grandiose et déserte où nulle critique ne peut s'exprimer. L'oeuvre de fiction, et celle conjointe de Yu Hua et Zhang Yimou notamment, permet ce qu'aucun livre d'Histoire ne peut : donner une dimension humaine à des événements dont les protagonistes furent des humains. Le régime prétend servir le Peuple et être la Voix du Peuple. Je n'ai jamais cru aux notions abstraites. Je préfère entendre la voix d'un citoyen identifiable à la Voix d'un Peuple fantasmée. D'autant que les grands nombres (que l'on songe à la taille de la population Chinoise) ont tendance a noyé l'émotion. Pendant donc que la famine s'abattait sur la population, le régime communiste faisait montre d'opulence et les portraits innombrables de Mao montraient sa belle bedaine. Après la poule, l'oie, le cochon et le bœuf, viendra le communisme. Le film montre ce que fut réellement l'Histoire : une suite imprévue d'événements dont la totalité forme une farce cosmique indifférente au sort d'un individu lambda. Vivre, c'est chercher un sens à sa destinée individuelle alors que les chapitres des ouvrages d'Histoire montrent seulement un sens lorsqu'on change d'échelle (la Marche de l'Histoire, le destin d'un Peuple travailleur sympathisant communiste).
Le film et le roman.
Vivre! est une adaptation plutôt réussie et fidèle du roman éponyme de Yu Hua. La petite troupe de marionnettistes et les représentations théâtrales populaires sont un ajout astucieux de Zhang Yimou. Les marionnettes contribuent à donner un sens grotesque et un peu de légèreté aux vies malmenées par les guerres puis par les politiques sociales désastreuses de Mao Zedong. De petites histoires comiques ponctuent la Grande Histoire tragiquement sérieuse. Les marionnettes sont aussi un ajout très esthétique, "cinématographique". Sans parvenir à la maîtrise d'Orson Welles, Zhang Yimou joue habilement des ombres chinoises.
La guerre était dans le roman une expérience irréaliste ou une danse macabre (les personnages ne comprenant pas ce qui leur arrivait). En effet, l'Histoire est un édifice posthume tandis que la mémoire de l'anti-héros Fugui est une expérience (certes restituée mais néanmoins, en un sens) contemporaine des faits. Dans le film, la guerre n'est plus une stupide calamité mais une ridicule campagne (ou un séjour à la campagne) risible. Seule la dimension comique persiste dans le film. C'est gênant.
Un deuxième défaut - sans doute inhérent à l'adaptation d'un roman au cinéma - est l'appauvrissement psychologique des personnages. Dans le roman, je peinais à trouver des personnages attachants. Satyajit Ray disait qu'il ne pouvait tourner un film sans éprouver de l'amour pour ses personnages. Je ne sais pas si Zhang Yimou éprouve de l'amour pour ses personnages. Le spectateur, lui, ne peut en éprouver.