Nous savions que le cinéma soviétique n'avait plus rien à prouver en terme de richesse. Une fois de plus, il nous l'aura prouvé avec "Viy", une curieuse pellicule constituant un exemplaire quasiment unique du film d'horreur soviétique. Etrange quand on connaît la politique liberticide d'un parti vouant un culte à l'ignoble réalisme communiste. Mais pour autant, on comprend pourquoi il est parvenu à voir le jour car répondant positivement à certains impératifs et obsessions du pouvoir en place. J'y reviendrai par la suite.
"Viy" n'est pas à proprement parler un film d'épouvante et encore moins d'horreur, dans la grande tradition que nous les connaissons. S'attendre à frissonner devant serait probablement la pire idée que vous auriez eu de votre semaine. Ershov et son comparse ont d'autres ambitions, pas forcément supérieures mais qui, absentes, auraient données lieu à un naufrage si la colonne scénaristique avait été prise au premier degré. Et Dieu sait le nombre de réalisateurs qui auraient été capables de tourner ça dans le plus grand sérieux. "Viy" c'est du comique troupier, un vaudeville fantastique où un pauvre moine responsable de la mort d'une sorcière se voit forcé par le père de celle-ci à veiller sur sa dépouille durant 3 nuits. Craintif à l'idée que l'on découvre son geste, la pression à son encontre est telle qu'il ne peut refuser. Néanmoins, la forte récompense du père permet de le rassurer. C'est donc trois nuits angoissantes pour lui et génialissimes pour nous, simples spectateurs, qui avions sous-estimé honteusement ce que Viy avait à nous offrir.
Esthétiquement magnifique, le film l'est tout autant dans sa partition sonore loufoque et pseudo-angoissante. C'est rare de voir un cinéma de ce genre pousser aussi loin la démarche artistique. Que cela soit les éclairages, les contrastes, les ombres, tout est travaillé avec une minutie qui impressionne. Encore aujourd'hui, il demeure un monument qui devrait être visionné par tous les cinéastes amateurs pour qui l'idée d'un film beau ne leur viendrait même pas à l'esprit. Enfin, j'en reviens à ce que je disais à la fin du premier paragraphe, le fait que Viy a su sortir pourrait se trouver dans le traitement du clergé volontairement tourné en ridicule. Ainsi, le héros est représenté comme un pleutre, moqué pour sa lâcheté et ses cris, ne trouvant son salut que dans des litanies religieuses qui ne parviennent en rien à atténuer sa crainte. Le communisme et la religion, ça n'a jamais été une histoire d'amour. Très certainement, cette raison fut peut-être celle qui permit à ce projet d'exister. En optant pour ce choix casse-gueule, le résultat est absolument fendard. Leonid Kuravlyov a la parfaite tête de l'emploi du religieux benêt et il s'y donne à fond.
"Viy" devient dès lors une farce mémorable et bigrement attachante où l'on ne s'ennuie pas une seule seconde, assumant sans fard sa différence et dont la dernière partie vaut son pesant de cacahuètes. L'arrivée des monstres, indéniablement le point culminant de l'intrigue, est extra en tout point. Les CGI ont pris de l'âge mais l'effet est toujours de la partie. On imagine en 1967 ce que les spectateurs ont dû vivre.