Nous sommes en 1961. Du moins, nous l’avons été à une époque. Kirk Douglas s’approprie les droits d’un livre de Ken Kesey qu’il juge admirable. Cet ouvrage devient rapidement une œuvre théâtrale de tout premier plan. La distribution est grandiose mais l’accueil des critiques et du grand public reste très mitigé. Six mois s’écouleront avant que les représentations ne s’arrêtent définitivement.

Ce n’est qu’en 1971 que Michael Douglas et Saul Zaentz décident à leur tour de produire une adaptation de ce même livre, cinématographique ce coup-ci. Aucun studio ne donne son accord aux deux hommes, ce qui ne les décourage pas pour autant. Les deux compères se tournent vers Milos Forman, autrefois contacté par Kirk Douglas pour une première tentative d’adaptation qui n’aura finalement jamais abouti.

Milos Forman accepte de tourner ce film à tout petit budget. Bo Goldman en rédige le scénario. Le rôle principal, qui avait d’abord été proposé à James Caan, puis à Marlon Brando et Gene Hackman, revient finalement à Jack Nicholson, alors jeune acteur plus que prometteur. De même, le rôle de l’infirmière Ratched, tenu à l’écran par Louise Fletcher, avait d’abord été présenté à des actrices extrêmement populaires : parmi elles, Jane Fonda, Jeanne Moreau et Faye Dunaway.

Le prisonnier McMurphy n’a jamais véritablement appris à se plier devant une quelconque autorité. Transféré à tort ou à raison dans un petit hôpital psychiatrique, sa santé mentale doit y être très sérieusement analysée. Le cerveau de McMurphy serait-il enclin à un quelconque dysfonctionnement ? McMurphy aurait-il vraiment sa place au sein de cet établissement spécialisé ? Beaucoup n’y croient pas.
Pendant ce temps, ce nouveau pensionnaire tente peu à peu de sortir les pensionnaires de leur sombre léthargie commune, une torpeur généralisée attisée depuis bien trop longtemps par l’effroyable infirmière en chef, Ratched.

Milos Forman n’a jamais voulu faire preuve d’un quelconque conformisme, ni d’un quelconque sentimentalisme exacerbé. Il nous présente uniquement quelques remarquables spécimens de notre valeureuse colonie terrestre, dans toute leur splendeur. Des personnages dotés de tout ce qui fait d’eux des hommes à part entière, mais qui sont bien trop souvent empreints à des spasmes en tous genres, à de violentes convulsions et à de fortes crises d’angoisse et d’anxiété pour pouvoir s’investir dans une quelconque vie en société. Des personnages dont l’aspect ne correspond pas véritablement aux normes en vigueur, régulièrement laissés pour compte et dont le libre arbitre se trouve, en l’occurrence dans le film, quelque peu obstrué par d’autres personnes se sachant forcément plus dégourdies. Milos Forman dénonce, en toute impunité et sans aucun détour, plusieurs incohérences socio-culturelles flagrantes. Sans jamais surenchérir, il fait un simple constat de ce qu’il en est de la réalité. A ce sujet, le réalisateur a longuement insisté auprès de ses acteurs sur l’importance de leur spontanéité et les a, par ailleurs, souvent filmé à leur insu lors de répétitions. Du coup, Vol au-dessus d’un nid de coucou s’apparente à un véritable documentaire, basé sur les relations humaines de toutes sortes et sur l’accueil perpétuellement réservé par nos sociétés prétendument modernes à tout ce qui sort ou semble sortir de l’ordinaire.

McMurphy, dont l’existence pourrait simplement se résumer à une interminable série de forfaits en tous genres, est à coup sûr un dangereux criminel qui se retrouve dans un univers qui lui est inconnu et auquel il semble loin d’appartenir. Seulement, au milieu de tous ces hommes qui ont plus ou moins perdu la raison et qui n’ont plus véritablement la force d’affronter les rouages du monde extérieur, il va, une fois de plus, s’insurger contre les règles établies, en l’occurrence l’autorité oppressive de l’infirmière en chef Ratched et de ses aides-soignants soi-disant compétents, et révolutionner à sa manière le quotidien de chacun des patients en leur redonnant un semblant d’espoir et de reconnaissance sociale.

Vol au-dessus d’un nid de coucou est une œuvre absolument bouleversante, comme il n’en existe que très peu. Une œuvre d’une tendresse infinie et d’une minutie rare, mais dont le discours est suffisamment clair pour parvenir à déranger. L’ensemble est véritablement émouvant. Le scénario est exemplaire, une leçon au même titre qu’un cours de grammaire. Tous les acteurs sans exception sont à deux doigts de palper la perfection absolue : Jack Nicholson en tête, chaque seconde plus époustouflant, et Louise Fletcher dans une moindre mesure. Nicholson incarne un personnage vraisemblablement aussi dérangé que tous ses colocataires mais qui parvient à juste titre à accepter chacune de leurs différences, étant lui-même quelqu’un de peu ordinaire. Pour sa part, Louise Fletcher incarne le Mal sans pour autant avoir conscience de la gravité de devoir inscrire cela sur son curriculum vitae d’infirmière en chef.

Nommé aux Oscars 1976 dans les catégories Meilleur Second Rôle Masculin pour Brad Dourif, Meilleure Photo, Meilleur Montage et Meilleure Musique, le film remporta ceux du Meilleur Film, Meilleure Adaptation, Meilleur Réalisateur, Meilleur Acteur pour Jack Nicholson et Meilleure Actrice pour Louise Fletcher. Somptueusement mené par une galerie d’acteurs exemplaires, Vol au-dessus d’un nid de coucou est l’étonnant récit d’un voyage initiatique hors du commun. Un de ces films qui ont révolutionné toute une époque et qui ne sauraient laisser personne indifférent encore aujourd’hui.
asano
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le 22 oct. 2012

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